Modifié

"Le fils de l'homme", généalogie de la violence par Jean-Baptiste Del Amo

Jean-Baptiste Del Amo. [Editions Gallimard - Francesca Mantovani]
Entretien avec Jean-Baptiste Del Amo, auteur de "Le fils de l'homme" / QWERTZ / 24 min. / le 29 septembre 2021
L'écrivain français Jean-Baptiste Del Amo vient de remporter le prix du roman Fnac pour son dernier roman, "Le fils de l’homme", paru chez Gallimard. Un huis-clos sépulcral en pleine montagne, qui dit la soif de rédemption d’un homme condamné à lui-même.

Ils fument. Quand ils parlent, quand ils se taisent, quand ils sont en colère et quand ils s’évadent en pensées. Dans "Le fils de l’homme", le sixième roman de Jean-Baptiste Del Amo paru cette rentrée, le "père" et la "mère" sont comme deux braises qui rougeoient et se consument dans une forêt crépusculaire.

Le livre s’ouvre sur une scène fondatrice qui suit un groupe de chasseurs-cueilleurs en quête de sa propre survie. Mais l’histoire commence en s’enchâssant à ce récit mythologique: réuni après une longue séparation, un couple joue son va-tout en partant s’installer dans la montagne, aux Roches, ferme maudite et délabrée héritée par le père du père. Leur jeune fils est avec eux.

Un roman tourné vers la violence humaine

Le projet pourrait être prometteur s’il n’était pas immédiatement brouillé par une tension, "une colère, une ombre" d’abord larvée, puis de plus en plus manifeste, qui sourd du père et éclabousse toute la famille: "Le fils de l’homme" est tout entier tourné vers la violence humaine, masculine et implacable, comme un gène parasite transmis sur plusieurs générations, et dont Jean-Baptiste Del Amo cherche les origines.

Il avait depuis l’accident ce regard, cet orgueil ou cette colère désespérés des bêtes sauvages dont une patte est prise dans un piège et qui préfèrent se la ronger plutôt qu’accepter de se laisser approcher pour qu’on les libère, parce qu’elles ne savent pas distinguer précisément l’origine de leur souffrance.

Extrait de "Le Fils de l’homme" de Jean-Baptiste Del Amo

Les conséquences désastreuses des valeurs patriarcales

Cette enquête, l’auteur de "Règne animal" la mène sans frontalité. Pour montrer les effets de l’emprise, les dignités brisées par les humiliations de la précarité et les culs-de-sac de l’orgueil, il expose des intimités impossibles, il scrute des silences. Économes mais glaçantes, certaines scènes annoncent la catastrophe à venir: la contemplation d’un tableau, une visite chez le coiffeur, la fabrication d’une fronde, un dîner entre amis. Les tourments de ses personnages se lisent dans les paysages, "le parfum des sous-bois", les cris d’oiseaux, "la densité poisseuse de la forêt».

Les lieux, les décors sont très importants pour moi. C’est vrai que mes livres sont plutôt descriptifs et plus j’avance, plus j’ai envie de travailler essentiellement sur des images, d’être dans une forme d’hyperréalisme et de focaliser mon attention à la fois sur les décors, sur les corps des personnages plus que leurs pensées, (…) pour que la lecture soit une expérience visuelle et presque sensorielle, pour qu’on éprouve les éléments et la physicalité des personnages.

Jean-Baptiste Del Amo

En laissant ces images déteindre sur les gestes de ces bêtes humaines, Jean-Baptiste Del Amo orchestre avec "Le fils de l’homme" une chorégraphie métaphorique, minérale et sidérante, qui met le lecteur face aux conséquences désastreuses des valeurs patriarcales.

Salomé Kiner/aq

Jean-Baptiste Del Amo, "Le fils de l’homme", Gallimard, août 2021.

Vous aimez lire? Abonnez-vous à QWERTZ et recevez chaque vendredi cette newsletter consacrée à l'actualité du livre préparée par RTS Culture.

Publié Modifié