Il est le Regardeur de soleils. Le petit Diderot. Le Maître du lapin blanc. Bélhazar, enfant prodige au destin tragique semble né pour ravitailler la fiction. Et cependant "tout est vrai", prévient Jérôme Chantreau en ouverture de roman. Car son troisième livre, inspiré de faits réels, se tient en équilibre sur une ligne de crête entre l’enquête policière et le rêve éveillé.
La malédiction de Toutankhamon
Le fait divers, tout d’abord. Le 13 février 2013, Antoine-Bélhazar Jaouen, 18 ans, meurt lors d’une interpellation de police. L’enquête bâclée conclut à un suicide. Les parents du jeune homme n’y croient pas une seconde, et engagent un grand pénaliste pour faire la lumière sur cette "bavure". Un mois plus tard, ce dernier se donne la mort. Reprise par divers magistrats, l’affaire trouve en un jeune homme déterminé son meilleur avocat. Mais le 13 novembre 2015, celui-ci prend une balle mortelle au Bataclan. Au terme de cette bataille juridique hantée par "La malédiction de Toutankhamon", le non-lieu est prononcé.
Bélhazar m’a enseigné, tout au long de l’écriture, comment dépasser ma peur. Et pour cela il fallait écrire à la première personne, montrer comment le récit s’écrivait, dans la difficulté.
Commence alors un autre combat: celui de son ancien professeur, écrivain et ami de la famille, qui s’empare de l’affaire pour rendre à son tour justice avec les outils de la poésie. En explorant la personnalité flamboyante de Bélhazar, Jérôme Chantreau découvre un monde à part, création d’un artiste qui multiplie les jeux de pistes et les audaces, au mépris des limites du réel. A l’instar de Saint-Exupéry, l’auteur-narrateur se laisse ainsi guider par son petit prince gothique, jusqu’à se perdre en des pages où la logique du récit se soumet aux visions de ce jeune homme épris de contes médiévaux et de maquis secrets.
On m’a dit d’écrire. Voilà. Écrire, c’est déposséder les vivants, pour finir par se faire déposséder soi-même de ses créatures. Écrire, c’est implorer le vol de la solitude. Ecrire, c’est perdre.
Quitte à y laisser des plumes. Perdant son couple, son lieu de vie et son premier éditeur, le narrateur ne dissimule rien de la crise existentielle que lui fait traverser cette aventure. Et son témoignage, mettant à nu les ressources de la fiction, reprend ainsi la main sur une histoire dont les protagonistes, un père rêveur et une mère combative, lui intiment de débusquer la vérité.
Entre le "tout est vrai" qui ouvre le récit et le "tout est jeu" que lui souffle le père endeuillé, l’écriture sensible de Jérôme Chantreau trace une troisième voie. Hommage d’un artiste à un autre artiste dont la personnalité rayonne, par delà la mort, par delà les mots.
Nicolas Julliard/ms
Jérôme Chantreau, "Bélhazar", ed. Phébus.
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