C’est un homme qui, toutes les semaines, se rend au parloir d’une prison pour en rencontrer un autre. Mathieu Palain, découvert en 2019 avec "Sale gosse" (L’Iconoclaste), a ainsi écouté semaine après semaine Toumany Coulibaly, espoir de l’athlétisme français tombé pour cambriolages à répétition.
Au départ ils ne se connaissent pas, mais ont grandi dans la même banlieue du sud de Paris. Lorsque Mathieu Palain a lu la condamnation de Toumany Coulibaly dans le journal, il lui a écrit une lettre. Un an après, il allait le voir pour la première fois.
Toumany, et c’est en ça aussi que je l'ai trouvé extrêmement intéressant, ne vole pas pour l'argent. L’argent n’a aucune espèce d’importance pour lui. Il vole pour le plaisir de voler, et c'est très déroutant. Ça va à l'encontre de beaucoup de clichés qu’on peut avoir sur les voleurs, sur les banlieusards qui veulent absolument s’extraire de la merde dans laquelle ils ont vécu. Toumany ne renie rien de son enfance ou de son quartier.
Une histoire complexe et déroutante
Mathieu Palain a grandi à Ris-Orangis. Il a travaillé pour Libération et signé des reportages au long cours pour la revue XXI. Il est également l’auteur d’un podcast consacré à la violence conjugale. En quelques années, ce trentenaire a imposé un style et une éthique. "Ne t’arrête pas de courir" est intéressant par sa capacité à démonter les clichés sur la banlieue et sur les gens qui y vivent.
L’histoire de Toumany Coulibaly est complexe, riche, déroutante. Ce garçon né dans une famille nombreuse d’origine malienne est voleur multirécidiviste, sportif de haut niveau, jeune papa, et un individu exceptionnel selon les dires de ceux et celles qui l’ont croisé.
Palain tente de comprendre, sans a priori, ce qui peut étonner plus d’un.e lecteur.trice: pourquoi ce garçon n’a-t-il pas profité de ses succès sportifs pour s’arracher à son milieu? Le journaliste, par son empathie et son écoute, réussit parfaitement à reconstruire le parcours de Coulibaly depuis son enfance.
On avait dix-neuf ans en 2007. Je veux dire lui et moi, puisqu'on a six mois d'écart. Je marchais chaque matin de mon immeuble jusqu'à la gare de Ris-Orangis et me tapais une heure de RER pour rejoindre la fac, à Paris. Je voulais devenir journaliste, j'avais échoué dans le sport et j'avais pas de plan B. Lui dormait à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis, Bâtiment D3, à cinq minutes de chez moi.
Mais ce qui est intéressant dans ce livre, qui n’est ni un biopic ni un essai, c’est la façon dont Palain s’est immergé dans son sujet. Page après page, il se dévoile lui-même tout autant qu’il découvre Toumany Coulibaly. Son propre parcours, sa relation avec la prison, qui a touché ses proches, avec le sport, avec le quartier où il a grandi, sont autant de ramifications inattendues qui constituent ce texte émouvant.
Sylvie Tanette/aq
Mathieu Palain, "Ne t’arrête pas de courir", ed. L’Iconoclaste.
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