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"La plus secrète mémoire des hommes", roman-labyrinthe de Mohamed Mbougar Sarr

L'écrivain Sarr Mohamed Mbougar. [DR - Antoine Tempé]
Entretien avec Mohamed Mbougar Sarr, auteur de "La plus secrète mémoire des hommes" / QWERTZ / 26 min. / le 14 octobre 2021
Le Sénégalais Mohamed Mbougar Sarr, écrivain phare la scène littéraire francophone africaine, est présent sur toutes les premières listes des prix littéraires de l'automne pour son quatrième roman, "La plus secrète mémoire des hommes".

Diégane Latyr Faye est un personnage de fiction, mais on l’imagine facilement sous les traits du romancier Mohamed Mbougar Sarr. L’auteur pourrait être ce jeune écrivain en goguette dans la nuit parisienne, battant le pavé humide en ruminant ses doutes existentiels et ses mérites littéraires jusqu’à ce qu’il tombe sur la suave et mystérieuse Siga D.

Elle est poétesse, libre, incandescente. Elle ne fréquente pas Le Ghetto, ce milieu littéraire noir de la France des années 2010, où chacun vogue et s’observe entre désir de reconnaissance et refus d’allégeance. Elle est "l’araignée-mère", plantureuse et spirituelle, et elle lui dit "vous croyez que la littérature corrige la vie. Ou la complète. Ou la remplace. C’est faux."

Sur les traces de T.C. Elimane

Surtout, elle lui donne à lire "Le labyrinthe de l’inhumain", un livre attribué à T.C. Elimane, un écrivain insaisissable, "prodige par le savoir comme par la maturité" et né comme Diégane Latyr Faye – mais soixante ans plus tôt – dans le Siné Saloum sénégalais. Très vite, le jeune auteur se lance à la recherche de son aîné, sur les traces duquel chemine tout le roman.

Qui était-il? Un écrivain absolu? un plagiaire honteux? un mystificateur génial? un assassin mystique? un dévoreur d’âme? un nomade éternel? un libertin distingué? un enfant qui cherchait son père? un simple exilé malheureux qui a perdu ses repères et s’est perdu? Qu’importe, au fond. C’est autre chose que j’aime en lui."

Mohamed Mbougar Sarr, "La plus secrète mémoire des hommes"

T.C. Elimane, "Rimbaud nègre" isolé du commun des mortels par "un cercle de feu" a pour lointaine inspiration l’écrivain malien Yambo Ouologuem. L’auteur du "Devoir de violence", mort en 2017, avait reçu le Renaudot et les éloges de la presse en 1968 avant d’être accusé de plagiat et désavoué par la critique.

Le livre ultime

Comme Borges ou Edmond Jabès avant lui, Mohamed Mbougar Sarr s’intéresse à ces livres qui connaissent des destins singuliers: maudits, cultes, prophétiques, incompris, illisibles ou essentiels. Car la littérature n’est pas une bagatelle: elle pénètre les esprits et habite les corps, nous rappelle l’écrivain.

Entre les lignes de l’enquête qui orchestre les différentes parties de son roman, entre deux fantômes de T.C. Elimane, l’auteur, né en 1990 à Dakar, développe des réflexions d’ancien: sur les pouvoirs de la fiction, sur le bruit du silence, sur la solitude et les affres de la passion, sur la mémoire humaine et les recoins de l’âme: "désir d’absolu, certitude du néant: voilà l’équation de la création."

Comme lecteur et comme écrivain, petit à petit, on finit par se demander, comme un fantasme, ce que pourrait être le livre ultime, celui après lequel il n’y aurait plus rien à écrire.

Mohamed Mbougar Sarr

Une densité rare

Narrateur virtuose, Mohamed Mbougar Sarr entraîne les lecteurs sous un manguier, dans les rangs massacrés des tirailleurs sénégalais, dans l’Argentine de la dictature militaire, dans le Paris de la Seconde Guerre mondiale, à la table d’une Instagrameuse littéraire, au chevet d’un guérisseur aveugle et dans le Dakar d’aujourd’hui.

Les décors sont solides, les personnages épais, la langue infaillible. Il y fait coexister les formes et les discours, virevoltant entre une sensualité crue, des fragments épistolaires, des réflexions politiques sur la domination coloniale, des récits familiaux, le Sénégal des années 1930 et le Paris libertin d’aujourd’hui. Un roman d’une densité rare, qui soulève des questions puissantes.

Salomé Kiner/aq

Mohamed Mbougar Sarr, "La plus secrète mémoire des hommes", éd. Philippe Rey/Jimsaan.

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