Inscrit sur sept listes de prix et désigné comme favori par les journalistes littéraires qu'avait interrogés la revue Livres Hebdo, le Sénégalais Mohamed Mbougar Sarr, 31 ans, a donc effectivement séduit les jurés du Goncourt avec "La plus secrète mémoire des hommes" (éditions Philippe Rey), roman-labyrinthe de 460 pages qui s'inspire du destin maudit de l'écrivain malien Yambo Oulologuem, accusé de plagiat pour "Le Devoir de la violence", prix Renaudot en 1968.
Mohamed Mbougar Sarr est le premier écrivain d'Afrique subsaharienne à être consacré par le plus prestigieux des prix littéraires. Il est aussi le plus jeune lauréat depuis Patrick Grainville en 1976. Il vit aujourd'hui à Beauvais, au nord de Paris. Son entrée en littérature s'est faite dès ses 24 ans, avec "Terre ceinte", suivi de "Silence du coeur" en 2017.
Mohamed Mbougar Sarr a obtenu 6 voix au premier tour. "Avec ce jeune auteur, on est revenu aux fondamentaux du testament du Goncourt. 31 ans, quelques livres devant lui. Espérons que le Goncourt ne lui coupera pas son désir de poursuivre", a commenté Philippe Claudel, du jury.
"Ça c'est fait au premier tour. C'est écrit de façon flamboyante. C'est un hymne à la littérature", a souligné Paule Constant, autre membre du jury.
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Quatre auteurs étaient finalistes du Goncourt, qui récompense depuis 1903 "le meilleur ouvrage d'imagination en prose, paru dans l'année" et écrit par un auteur d'expression française. Ce Goncourt est remis, comme le veut la tradition, à l'heure du repas de midi au restaurant Drouant, dans le quartier de l'Opéra, à Paris.
Le roman "Milwaukee Blues" (éditions Sabine Wespieser) du Haïtien Louis-Philippe Dalembert semblait partir de plus loin.
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Christine Angot était également en lice avec "Le Voyage dans l'Est" (Flammarion), récit percutant de l'inceste dont elle a été victime. Mais ses chances étaient compromises par le prix Médicis qu'elle vient tout juste de décrocher.
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Enfin, Sorj Chalandon concourrait avec "Enfant de salaud" (Grasset), où il évoque les années sombres de son père sous l'Occupation allemande. Les deux romans sont considérés parmi les meilleurs de leurs auteurs respectifs.
Des Davids et des Goliaths de l'édition
Ce Goncourt 2021 représentait une confrontation entre deux éditeurs puissants, habitués aux récompenses, Grasset (groupe Hachette) et Flammarion (groupe Madrigall), et deux petits indépendants, novices dans ce domaine.
Louis-Philippe Dalembert et Mohamed Mbougar Sarr ont pour point commun d'être défendus par une maison qui porte le nom de celui ou celle qui l'a fondée et la dirige encore.
Pour ce type de maison, rivaliser avec les grands du secteur, "c'est extrêmement important à la fois sur le plan symbolique, et sur le plan économique", a dit l'éditrice Sabine Wespieser sur la chaîne de télévision France 24 vendredi dernier. "J'ai un imprimeur qui est prêt à appuyer sur le bouton à 12h45 le mercredi 3 novembre, pour rouler 200'000 exemplaires".
afp/oang
La renommée et… un chèque de 10 euros
Le prix Goncourt, décerné par un jury de sept hommes et trois femmes, rapporte un chèque de 10 euros, mais il garantit des ventes en centaines de milliers d'exemplaires.
Le sacre en 2020 de "L'Anomalie", roman fantasque d'Hervé Le Tellier, avait généré en librairie un engouement jamais vu depuis "L'Amant" de Marguerite Duras en 1984, avec plus d'un million d'exemplaires vendus.
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Le Renaudot à Amélie Nothomb
Décerné également mercredi, le prix Renaudot revient cette année à Amélie Nothomb pour "Premier sang" (Albin Michel). L'autrice de best-sellers a été élue au 2e tour, avec 6 voix.
Avec ce trentième ouvrage, la romancière se glisse dans la peau de son père diplomate et revient sur les épisodes marquants de sa vie, de son enfance baroque à une prise d'otages au Congo. Un trentième livre cathartique pour la romancière belge.
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Le Renaudot de l'essai a été décerné à "Dans ma rue y avait trois boutiques" (Presses de la Cité) d'Anthony Palou, a précisé Franz-Olivier Giesbert, un des jurés du Renaudot.