"L'oeil sur le seuil", plus de cinquante ans d'archives en réalité augmentée

Plus de cinquante ans d’archives et de sculptures, de dessins, de réflexions et de travail sur le bois en particulier regroupés dans un livre. Le projet de Christine Aymon est ambitieux, avec des QR codes disséminés dans le manuscrit qui donnent accès à une lecture augmentée, des sons et des vidéos permettant de mieux comprendre le travail de l’autrice. "Mes œuvres se voient ainsi en 360 degrés. Le lecteur est intégré à l’œuvre en se déplaçant autour, c’est un investissement physique", explique à la RTS Christine Aymon.

Un processus de recréation

Comment transférer une sculpture en bois, spécialité de l’artiste, et en trois dimensions sur un papier plat? L’artiste souhaite en effet que le lecteur puisse revivre ses installations. C’est là que l’idée du livre augmenté lui parvient. Elle se souvient: "D'un autre côté, je ne pouvais pas être reporter de moi-même, j’étais obligée de réinventer ces installations. Je me suis remise dans leurs idée d’origine, mais avec mes yeux d’aujourd'hui et la technologie. C’est comme une recréation des œuvres."

Il a donc fallu retrouver, trier et numériser de nombreuses bobines, photos et cassettes. "Pendant six mois, j’étais assise à mon bureau de manière obsessionnelle. Mon mari me faisait à manger, nous discutions pendant le repas, et n’importe quelle phrase pouvait être le point de départ d’une idée. J’étais dans un état de création permanent." Grâce à ces archives, le lecteur peut ainsi regarder les œuvres prendre vie. Par exemple, des vidéos montrent Christine Aymon en pleine création, combinaison et masque en main pour éviter la sciure.

L'oeil sur le seuil, c'est l'oeil de celui qui regarde depuis l'extérieur, avant d'entrer dans l'oeuvre.

L’art pour intégrer la vie

Les sculptures en bois représentent des êtres humains, parfois dans des situations défavorables. "L’art, c’est ma façon de regarder la vie, de l’intégrer, de la prendre à l’intérieur de moi. Il y a dans le livre un chapitre, 'La vie jolie', qui commence de manière joyeuse. Mais au fur et à mesure, on se rend compte qu’il n’y a pas que des situations sympathiques dans la vie. Un autre chapitre parle de la migration. Je me suis demandé 'qui suis-je pour parler de migration, alors que je vis dans la même maison depuis cinquante ans?'".

L’art, c’est quelque chose de faux qui donne du vrai.

Et Christine Aymon d'ajouter: "Et puis je me suis souvenue que lorsque j’étais petite, je trouvais l’idée d’avoir une seule vie nulle. J’ai ensuite remarqué que les écrivains créaient des héros à travers lesquels il vivaient de nombreuses vies. C’est la même chose avec l’art ! En suivant une chose imaginaire – le voyage de Soraya et Fébane en bateau dans le livre –, des mémoires et des émotions qui nous habitent me viennent, ce qui me permet de reconnaître ce que je n’ai pas vécu. C’est une descente dans l’inconscient."

Propos recueillis par Pierre Philippe Cadert

Adaptation web: Myriam Semaani

Christine Aymon, "L’œil sur le seuil", éditions Monographic.