Voilà plus de deux semaines que le premier roman d'Elisa Shua Dusapin – "Hiver à Sokcho" (éditions Zoé, 2016) – a été auréolé du National Book Award pour une œuvre traduite. C'est l'une des distinctions littéraires les plus prestigieuses des Etats-Unis. Et c'est la première fois qu'il couronne une autrice helvétique.
Le jury a évoqueé "un roman sobre et viscéral qui explore les failles identitaires – culturelles, intimes et nationales. L'élégante traduction d'Aneesa Abbas Higgins sublime la langue d'Elisa Shua Dusapin."
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Deux semaines plus tard, la RTS a voulu savoir quel était l'état d'esprit de l'écrivaine jurassienne."C'est la première fois que je me rends compte à quel point un lectorat peut provenir de cultures radicalement différentes. Et aussi combien, au-delà de l’immense honneur que cela représente pour moi, c’est d’autant plus important de rester très ancrée dans qui je suis, pour garder cette forme de liberté littéraire", précise-t-elle.
Les langues, les frontières, les cultures
Elisa Shua Dusapin est née en France en 1992, d'un père français et d'une mère sud-coréenne. La famille s’est installée près de Porrentruy quand elle avait 7 ans. Cette identité multiple résonne dans son travail: "Mon écriture parle des frontières entre les langues, entre les cultures, entre soi et soi aussi. C’est quelque chose qui me rapproche de la Suisse, parce que nous avons quatre langues nationales, nous sommes constamment confrontés à l’altérité. C’est ce qui fait que je me considère beaucoup plus écrivaine romande que francophone."
Elisa Shua Dusapin écrit en français, mais ses personnages parlent souvent d'autres langues. Pour elle, la littérature doit être ouverte: "Je suis extrêmement fière de représenter la Suisse dans ce prix-là, mais je crois que l’écriture et la littérature ne devraient justement pas avoir de frontières."
Je suis extrêmement fière de représenter la Suisse dans ce prix-là, mais je crois que l’écriture et la littérature ne devraient justement pas avoir de frontières.
L'écriture émancipatrice
L'écrivaine est en plein travail pour son quatrième roman. Mais c'est bien pour son premier livre qu'elle a été répompensée. Quand elle a commencé à en écrire les premières lignes, Elisa Shua Dusapin avait alors 17 ans.
A cette époque, "j’étais une jeune fille très sensible aux diktats de la société, aux injonctions notamment liées à l’apparence, à une forme de perfection dans tous les domaines de la vie. Peut-être est-ce aussi lié à mon éducation orientale. Je crois que j’ai voulu écrire dans ce livre tout ce que je n’arrivais pas à dire en coréen. C'était aussi une manière d'exprimer des choses que je sentais complètement muselées en moi. Un droit à la parole que je n’arrivais pas à prendre en public, même avec mes amis."
Ce prix littéraire, qui s'ajoute à d'autres récompenses et à d'autres signes de reconnaissance, "ça me rassure. Mais je reste consciente que c'est un milieu très fugitif."
Propos recueillis par David Berger
Adaptation web: Pauline Rappaz