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"L'autre Molière" d'Eve de Castro, ou quand Jean-Baptiste passe contrat à Pierre

Portrait de l'auteure Eve de Castro. [L'Iconoclaste - Céline Nieszawer]
Entretien avec Eve de Castro, autrice de "L'Autre Molière" / QWERTZ / 32 min. / le 20 janvier 2022
Dans son dernier roman par aux éditions L'Iconoclaste, Eve de Castro saisit une nouvelle fois l’occasion de nous faire visiter son siècle favori, le XVIIe, au travers des relations de chair et de mots qui lient Molière et Corneille.

Molière a-t-il écrit ses pièces? La question s'est posée pendant longtemps; elle a fait suite à une hypothèse émise il y a une centaine d’années. Pierre Corneille, le plus grand dramaturge de son époque, auteur du "Cid", d'"Horace" ou de "Cinna" aurait signé les œuvres de Jean-Baptiste Poquelin. Depuis 2019, grâce à l'aide des intelligences artificielles, le doute est – peut-être – levé: les œuvres de Molière ont bien été écrites par sa main.

Pourtant, Eve de Castro n'en est pas convaincue. Des disparités entre les œuvres et au sein des œuvres de Molière elles-mêmes, des visites chez Corneille à Rouen, et l'usage de l'époque qui veut qu'un dramaturge écrive des comédies, mais qu'il les vende en abandonnant son droit d'auteur, suffisent à considérer, de façon raisonnable et sensée, que Molière a pratiqué ce qui était monnaie courante à l’époque: écrire à plusieurs mains.

Au XVIIe siècle, la tragédie est le genre noble; c'est celui qui vous permet de rentrer – éventuellement – à l'Académie Française. Les tragédiens féconds de l'époque signent leurs tragédies, mais pas leurs comédies. Ils les vendent.

Eve de Castro

Amour, Gloire et Beauté

Voilà pour le contexte sur lequel se pose "L'autre Molière", roman qui nous invite à nous plonger tour à tour dans les journaux intimes imaginés de Molière, l'Intouchable, du "Vieux" Corneille, de la "Désirée" Armande Béjart ou de sa mère, l'"Accoucheuse" Madeleine Béjart. Un kaléidoscope amoureux, qui rappelle parfois la trame de "Cyrano de Bergerac" d'Edmond Rostand. Aime-t-on l'homme, ou l'auteur? En dire plus serait trop dévoiler de l'intimité de ces protagonistes qui, au fil des pages, quittent leur costume de figures historiques pour devenir des hommes et des femmes comme les autres.

'L'autre Molière', c'est l'histoire de deux hommes, Molière et Corneille, qui aiment une femme, Armande Béjart, mais aussi l'histoire de deux femmes, Armande et Madeleine Béjart, autour d'un homme, Molière.

Eve de Castro

Pour vous, je serai l'Accoucheuse

Dans le roman, six personnages se partagent la narration d'une même histoire. Deux femmes, Armande et sa mère Madeleine Béjart, occupent deux rôles principaux, une justice que leur rend Eve de Castro, alors que leur importance est trop souvent minimisée par les historien.nes. "La vérité va vous déplaire, mais la voici: c'est moi qui ai inventé Molière", clame Madeleine à la page 46 de "L'autre Molière". Elle est la muse, le mentor de Molière, qui ne l'épousera pas.

"On a oublié qui était l'entourage très proche de Molière, souligne Eve de Castro. La tribu Béjart, à laquelle il a adhéré, a formé Molière. Madeleine était beaucoup plus expérimentée que lui; elle était aussi mieux introduite dans les sphères littéraires et aristocratiques. Je ne pense pas que Molière serait devenu celui qu'il est devenu, sans Madeleine Béjart." Madeleine mourra un an jour pour jour avant Molière, le 17 février 1762.

Parler couramment le XVIIe siècle

La forme du journal intime permet à "L'autre Molière" d'être plus qu'une histoire de désirs: c'est un véritable roman historique qui dévoile le quotidien de ce XVIIe siècle français qu'affectionne particulièrement Eve de Castro. "On sait en réalité très peu de choses sur cette époque", commente-t-elle à propos de ces temps où la population vit avec la constante menace de la mort; que ce soit par les exécutions publiques, mais aussi par la médecine (poudres de momies, et d'insectes), par les cosmétiques (fards à base de mercure), par les étuves (où l'on se "lave"), par l'accouchement, ou le simple fait d'avoir des rapports sexuels.

Quand on demande à Eve de Castro à qui des six personnages de "L'autre Molière" elle voue une affection particulière, elle hésite. "Pourquoi pas Le Petit, le comédien Michel Baron. Dans mon roman, il est le fil rouge, le lien entre cette époque et notre époque." Mais Eve de Castro se ravise: "J'ai un gros faible pour Corneille, parce que c'est le mal-aimé de notre époque, puisque nous lui préférons Molière. Il est un peu l'oublié de l'histoire, et j'aime rendre hommage aux oubliés."

Ellen Ichters/ld

Eve de Castro, "L'autre Molière", ed. L'Iconoclaste.

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