Avec "L'Amérique entre nous", Aude Seigne explore l'amour à trois

On l'assimile d’abord à la grande famille des Helvètes aux semelles de vent. Enième illustration de cette propension qu’ont les plumes d’ici à se laisser porter par l’air du large. D’Ella Maillart à Nicolas Bouvier, d’Annemarie Schwarzenbach à Blaise Hofmann, les autrices et auteurs suisses ont l’art de fausser compagnie à leur patrie exiguë.

Sur les routes

Pour Aude Seigne, pourtant, le voyage ne se suffit pas à lui-même. L’élargissement de la focale est d’abord l’ouverture d’un monde de possibles, le creuset de questions nouvelles que le dépaysement attise. Avec "L’Amérique entre nous", quatrième roman au cheminement circulaire, l’autrice genevoise embrasse et détourne sur un terrain plus intime le fantasme de la route états-unienne, cheminant dans sa tête, dans son corps et son couple à mesure que défilent les paysages iconiques des états traversés.

Emeric fait une sieste pendant que je conduis, et j’aime ça aussi, me retrouver seule aux commandes avec le bruissement de mes histoires intérieures. L’amour est comme la route américaine, bordée de clichés, fascinante quand même.

Mandatée par un magazine people pour aller à la rencontre de stars hollywoodiennes, la narratrice prend la route avec Emeric, son compagnon de longue date, qui se consacre à la photographie de la faune américaine. Culture et nature, glamour et sauvagerie, tout dans leur quête semble voué à les séparer.

Le voyage comme entre-deux

Mais c’est une autre tension, plus profonde, que fait naître le récit d’Aude Seigne: car si sa narratrice tente de vivre et décrire le voyage au présent, son esprit se porte régulièrement ailleurs, dans un autre espace, dans un autre temps. Celui de sa rencontre avec Henry, collègue de travail dont elle tombe amoureuse quelques mois auparavant. Incapable de choisir, la jeune femme cherche le moment propice pour aborder le sujet avec son compagnon et lui faire accepter l’idée du polyamour.

Le prénom Henry et le prénom Emeric sont deux versions du mot Amérique. On dit trois fois la même chose avec ces trois mots.

Machine à produire des récits, infatigable pourvoyeuse de fiction, la culture américaine apparaît alors comme un décor propice à l’exploration du fantasme, comme le point nodal d’une histoire d’amour qui se déploie à la fois dans le passé et le futur, avec le territoire du voyage en guise de zone tampon, d’entre-deux. "Entre nous", exactement.

Nicolas Julliard/sb

Aude Seigne, "L’Amérique entre nous", ed. Zoé.

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