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Censurée dans des écoles américaines, la BD "Maus" est en tête des ventes

"Maus", le roman graphique culte d'Art Spiegelman. [Keystone - EPA/Etienne Laurent]
"Maus", le roman graphique culte d'Art Spiegelman. - [Keystone - EPA/Etienne Laurent]
L'interdiction du roman graphique "Maus" dans les écoles du Tennessee pour des propos jugés choquants a eu un effet positif inattendu: l'oeuvre phare sur la Shoah est désormais en tête des ventes aux Etats-Unis.

Récit poignant sur la Shoah du dessinateur Art Spiegelman, "Maus" a été jugé "vulgaire et inapproprié" pour des collégiens de 13 ans par le conseil d'école du comté de McMinn, dans le Tennessee. Celui-ci a voté le 10 janvier pour le retirer du programme en attendant de trouver un autre livre sur l'Holocauste.

Selon le compte rendu de la réunion, huit mots vulgaires et le dessin d'une souris anthropomorphique nue dans une baignoire ne doivent pas être présentés aux enfants. Le conseil de l'école a aussi dénoncé la "description de violences et de suicides" donnée dans le livre, une oeuvre récompensée par le prix Pulitzer en 1992.

Cette décision a choqué la semaine dernière son auteur Art Spiegelman, qui a jugé que l'Etat du Tennessee était "manifestement devenu fou". "J'ai rencontré tellement de jeunes gens qui ont appris des choses grâce à mon livre", avait-il aussi regretté. Le musée de l'Holocauste de Washington avait de son côté souligné sur Twitter que "Maus" jouait "un rôle vital" pour l'enseignement de la Shoah "en partageant des expériences détaillées et personnelles des victimes et des survivants".

>> Réécouter le sujet de La Matinale sur l'interdiction du livre :

Le roman graphique "Maus", un monument de la littérature. [Keystone - EPA/Etienne Laurent]Keystone - EPA/Etienne Laurent
Le roman graphique "Maus", nouvelle victime de la guerre scolaire aux Etats-Unis / La Matinale / 1 min. / le 28 janvier 2022

>> Lire aussi : Le roman graphique culte "Maus" banni de l'école dans le Tennessee

En tête des ventes

Cette interdiction décidée dans le Tennessee et les nombreux articles qui ont suivi à ce sujet ont toutefois eu un effet paradoxal: de nombreux Américains et Américaines ont eu envie de découvrir ou redécouvrir "Maus" et le roman graphique caracole en tête des ventes sur Amazon US, raconte France Culture, qui se base sur une information communiquée par la radio américaine NPR.

L'édition complète, "The Complete Maus", s'est hissée en peu de temps à la première place des ventes sur la plateforme, alors que le premier tome se classe à la 3e place et le second à la 9e au 31 janvier.

L'effet Streisand

France Culture relève que cet effet inattendu n'est pas nouveau: il s'agit de l'effet Streisand, du nom de l'actrice Barbara Streisand. Celle-ci avait tenté de faire disparaître des clichés relatifs à sa maison et cette vaine tentative les avait propulsés un peu partout sur internet. Ou quand une stratégie visant à diminuer la visibilité de quelque chose va générer l'exact opposé de l'effet recherché.

Dans le cas de "Maus", l'interdiction dans un petit comté reculé a eu pour effet de lancer une énorme opération de promotion.

La chaîne CNBC cite de son côté Art Spiegelman qui se félicite du fait que "l'effet Streisand a encore frappé": en 2015, l'ouvrage avait été interdit par Vladimir Poutine au motif qu'il contenait des croix gammées. Et là aussi, le stock de la petite maison d'édition qui le publiait s'était vidé si vite qu'elle avait dû le réimprimer plusieurs fois.

Une remise en question de l'enseignement

Dans "Maus", Art Spiegelman raconte les souvenirs bouleversants de son père, un juif polonais, qui a vécu l'horreur d'Auschwitz. Particularité de ce roman graphique traduit en plus de vingt langues, les personnages sont représentés par des animaux, les rendant immédiatement reconnaissables: les juifs sont des souris, les nazis des chats, les Américains des chiens...

Le retrait de "Maus" des écoles du Tennessee intervient dans un contexte de remise en question de l'enseignement dans les Etats américains conservateurs, qui s'attaquent aux livres traitant de sujets allant du racisme à l'identité de genre.

Selon leurs détracteurs, ces oeuvres incitent notamment les enfants blancs à se voir comme des oppresseurs des minorités. Ces militants conservateurs dénoncent la "théorie critique de la race", un courant de pensée qui analyse le racisme comme un système, avec ses lois et ses logiques de pouvoir, plutôt qu'au niveau des préjugés individuels.

Frédéric Boillat

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