Une punchline, une seule, et votre adversaire mord la poussière. Exemples:
"Ma gueule de bois ferait passer Pinocchio pour un vrai p’tit garçon".
(Orelsan, "Jimmy Punchline")
"Si je traîne en bas de chez toi, je fais baisser le prix de l’immobilier".
(Booba, "Ouest Side")
"’J'ai assez de vices pour faire du bricolage"
(Rohff , "La Cuenta")
Le mot punchline vient de la culture du stand-up aux Etats-Unis: au départ, la punchline est la chute d’un sketch, d’une blague. Pourtant, depuis plusieurs décennies, le terme a glissé vers un sens plus belliqueux; la punchline est devenue avec le temps et l’usage, une arme fatale, le bon mot grâce auquel on assassine, sans même avoir porté de coup physique. Comment ce voyage s’est-il fait?
Daniel Adjerad, grand amateur de Gilles Deleuze et de Pierre Bourdieu, s’est penché sur l’apparition de ce mot et de cette technique, si présents dans le rap. Il a donc plongé les deux mains jointes dans cet univers ultra-coloré, parfois subtil, parfois lourdingue, mais toujours rythmé.
Rakim, l'un des premiers maîtres de la punchline
Comme base de sa recherche, Daniel Adjerad s’est aidé de la bibliothèque participative en ligne genius.com, l’une des bases de données les plus complètes en matière de rap et de paroles.
Comme sur Genius.com il n’y avait pas de fonction pour trier les titres par ordre chronologique, j’y suis allé manuellement et j’ai essayé de refaire une chronologie de l’apparition du mot punchline. C’était artisanal, et un début de travail.
A l’ancienne donc. La recherche montre que probablement le premier à avoir transposé le terme punchline au monde du hip-hop est le rappeur américain Rakim, réputé pour avoir, à la fin des années 1980, porté le rap à un niveau technique supérieur, celui du flow. Un flow grâce à la maîtrise duquel, on gagne le respect de son adversaire.
Les uppercuts verbaux de Mohammed Ali
Le rap est donc un lieu où l’on montre sa capacité à vaincre sans combattre, ou avant de combattre; exactement comme sur un ring. Mohammed Ali était particulièrement réputé pour ses tirades à l’encontre de ses adversaires.
J’ai essayé de chercher dans les archives du New York Times, des liens entre le mot "punchline" et la boxe. Et c’est dans des articles consacrés aux combats de Mohamed Ali, qu’il est question de punchlines qui ne sont pas juste des blagues, mais comme des coups verbaux qu’Ali porte à ses adversaires.
La France, l’autre pays de la punchline?
L’une des célèbres punchlines de Mohamed Ali était "I’m Gonna Float Like a Butterfly and Sting Like a Bee" ("Je vais flotter comme un papillon et piquer comme une abeille") rappelle l’auteur, qui ajoute que cet art de se défier par les mots s’est transposé des rings de boxe aux battles de rap, comme celles mises en scène dans le film "8 Mile" de Curtis Hanson.
La France, l’autre pays de la punchline? Peut-être, rétorque Daniel Adjerad. Mais pour lui, qui s’est essentiellement intéressé à la punchline états-unienne et francophone, il faudrait poursuivre le travail de recherche, et pourquoi pas s’intéresser à l’Allemagne, qui semble dans sa culture d’après-guerre, avoir été le premier pays à employer le mot "punchline", avant même la France. La punchline n’a donc pas dit son dernier mot.
Ellen Ichters/olhor
Daniel Adjerad, "Punchlines", éd. Le Mot et le Reste.
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