Poète, écrivain, cinéaste, dramaturge, critique, acteur, journaliste, Pier Paolo Pasolini ("PPP") a laissé un corpus profus, marqué par la recherche formelle et l'engagement politique. Une sorte d'évangile rédigé par un apôtre agnostique, marxiste et gay.
"C'est avant tout un poète que nous perdons, et les poètes ne sont pas si nombreux dans le monde". Tels sont les mots de son ami Alberto Moravia, auteur du "Mépris", lors des funérailles officielles le 5 novembre 1975, trois jours après sa mort.
En une vingtaine d'années d'activité artistique, Pasolini, souvent comparé à Jean Cocteau ou Jean Genet, aura provoqué de violentes controverses face à la critique bourgeoise, la censure chrétienne et la menace néo-fasciste.
Une poétique sombre
Ses vers, sa prose, son théâtre, ses films et ses nombreuses chroniques constituent une poétique sombre dans laquelle ce proche de Godard et Fellini interroge la modernité d'une Italie à la fois millénaire et adolescente.
Encore rural et laborieux, le pays découvre l'électroménager, la télévision, la voiture individuelle, mais aussi le chômage, les bidonvilles, le sous-prolétariat. "Lincoln a aboli l'esclavage, l'Italie l'a rétabli", fait dire Pasolini au protagoniste de l'"Accattone" (le mendiant), son premier film réalisé en 1961 qui traite du "miracolo economico" du point de vue des laissés-pour-compte.
"Toute sa vie il a cherché un monde archaïque, pré-industriel, pré-mondialisé, paysan, qu'il jugeait innocent", explique à l'AFP son amie, l'écrivaine italienne Dacia Maraini, qui co-signa le scénario des "Mille et une nuits" (1974).
Pasolini jouit déjà d'une certaine notoriété dans son pays pour ses recueils poétiques ("Le rossignol de l'église catholique", "La meilleure jeunesse" et surtout "Les cendres de Gramsci") quand le cinéma le fait connaître à l'étranger.
Passant du réalisme ("Accattone", "Mamma Roma") à l'adaptation symboliste (Boccace, Sophocle, Sade), il réalisera au total 23 films jusqu'au dernier, le sulfureux "Salò ou les 120 jours de Gomorrhe" en 1975, qui sortira après sa mort. Il a aussi signé "L'évangile selon saint Matthieu" (1964), grand prix du jury à la Mostra de Venise, "Théorème" (1968), "Médée" (1969) avec Maria Callas, "Le Décaméron" (1971), primé à Berlin.
"Scandaliser est un droit"
Ses romans ("Les ragazzi", "Une vie violente") racontent sa fascination, son attirance pour les jeunes hommes, petites frappes des faubourgs romains au parler si particulier qui lui rappelle la langue du Frioul maternel et ses débuts de poète dialectal. Dans le parabolique "Théorème" (1968), il pervertit une famille bourgeoise. Son cycle romanesque s'achève avec l'inachevé "Pétrole" dont les révélations contenues dans un chapitre prétendument disparu auraient pu lui valoir sa mort, selon une théorie parmi cent autres.
Dans son ultime interview télévisée, accordée à Philippe Bouvard le 31 octobre 1975 à Paris, Pasolini résume ainsi une partie de son credo: "Scandaliser est un droit. Etre scandalisé est un plaisir".
Pasolini est assassiné dans la nuit du 1er au 2 novembre 1975 sur une plage d'Ostie, près de Rome. L'Italie traverse ses "années de plomb". Terroristes rouges et terroristes noirs perpètrent alors assassinats et attentats.
Enigme toujours entière de son assassinat
Un jeune prostitué de 17 ans, Pino Pelosi, est le seul condamné l'année suivante. Il affirme s'être battu avec Pasolini car il refusait ses avances sexuelles. Il reviendra des années plus tard sur cette version à laquelle personne, en Italie, n'accorde grand crédit. Crime de petits voyous pris de panique ou assassinat politico-mafieux? Les deux à la fois, peut-être. L'énigme reste entière.
Que reste-t-il de Pasolini aujourd'hui? "Il reste beaucoup de choses. Mais on remarque que son oeuvre poétique prend une dimension de plus en plus forte au fil des années. Sa présence politique et de cinéaste ont beaucoup occulté cette dimension même si elles ont bien sûr servi sa notoriété internationale", explique à la RTS l'écrivain français René de Ceccatty, son biographe et traducteur qui vient de publier la traduction de "Pasolini par Pasolini" aux éditions du Seuil. "Il n'est pas aussi démodé, décalé, daté qu'il aurait pu l'être près d'un demi-siècle après sa mort. Sa voix est intacte et ses films sont plus novateurs qu'on ne l'a cru. Les scandales qui les ont entourés ont en partie occulté les qualités esthétiques déterminantes de son univers".
afp/olhor