Conçu comme une métaphore de l’Europe en 1932, instantané de cette époque particulière de l’Entre-deux-guerres, oscillant sur le fil de l’Histoire, flottant au gré du courant, voilà le lecteur embarqué dans les pas d’un narrateur bibliophile: Jacques-Marie Bauer. A travers les yeux de l’amoureux des lettres, l’univers d’une croisière se joue telle une pièce de théâtre.
Pour Pierre Assouline, depuis longtemps hanté par la question du huis clos sur un paquebot, l’unité de lieu, de temps, d’action, fait sens. Car elle permet d’ouvrir sur un monde très cosmopolite, dans le luxe et la volupté des croisières de première classe, mais pas forcément dans le calme. La tempête se prépare. Le narrateur la pressent, tente de se faire entendre. Las! Cassandre du roman, qu’il ait remarqué les problèmes électriques sur le bateau qui conduiront à l’incendie, ou les débordements politiques des conversations, personne ne l’écoute.
C’est surtout la question de comment réagir à la montée des nationalismes. Le naufrage annoncé est à la fois celui du paquebot et celui de l’Europe dans la barbarie.
Un mélange de faits et de fiction
Pierre Assouline travaille, dans un premier temps, comme un historien. Piochant, fouinant, creusant dans les archives pour y trouver situations et personnages. C’est en publiant une biographie du reporter Albert Londres (qui périra dans le naufrage de ce paquebot, le Georges Philippar), que l’auteur trouve la matrice du roman.
Dans le dossier des assurances pour le procès qui suit le drame, il y lit les dépositions des membres d’équipage, des passagers. Tout y est. Reste à y ajouter une narration, raconter le voyage, car "Le paquebot" est le récit de la croisière même.
J’aime écrire. L’écriture est une joie et une souffrance. L’enquête est passionnante à faire, mais l’écriture elle-même est physiquement épuisante. Mais les joies de l’enquête, c’est quelque chose d’inoubliable. Pour chaque livre, ce sont des rencontres, des découvertes, des révélations.
Pour que cela fonctionne, l’auteur mélange faits et fiction et crée des personnages qui deviennent sa vérité, une vibration romanesque indispensable. Il précise: "L’histoire, c’est le domaine de l’exactitude et le domaine du roman est la vérité. Je me sers de l’exactitude pour refléter la réalité".
Pour les personnages ayant vraiment vécu, séjourné sur ce paquebot, parfois péri, Pierre Assouline reprend leurs noms. Ils sont marins, cuisiniers, hommes d’équipage, passagères. Hommage aux humains d’alors pris dans les tourments de l’Histoire. Le paquebot, le George Philippar, est un piège flottant où le temps se suspend pendant les trois mois que dure la croisière.
Les romans du roman
Amoureux des détails, l’auteur soigne ses costumes, ses décors, traque l’anachronisme, se plonge dans les magazines de mode, dans les récits de voyage, mélange philosophie, poésie et livres techniques.
Des romans s’y croisent aussi. Car qu’a-t-on à faire de mieux sur un bateau que de lire, de devenir le Club des allongés en attendant l’effondrement de l’Europe. "Mein Kampf" apparaît au détour des conversations, comme "La montagne magique" de Thomas Mann, Marcel Proust, Jules Romain, ou Hergé, en véritables sous-textes, les romans du roman. Preuve que la littérature parvient toujours à surnager des drames passés et à venir.
Je me situe au confluent de l'histoire et de la littérature. Ce sont mes deux passions. Aujourd’hui, je fais des romans qui font des mises en scène de l'Histoire.
Catherine Fattebert/aq
Pierre Assouline, "Le paquebot", ed. Gallimard.
Vous aimez lire? Abonnez-vous à QWERTZ et recevez chaque vendredi cette newsletter consacrée à l'actualité du livre préparée par RTS Culture.