Pour mettre tout le monde d’accord, quoi de mieux qu’un chalet de montagne? Sauf quand ce chalet se change en boîte de Pandore des intrigues familiales. Avec son premier roman "Les quatre soeurs Berger", l’autrice romande Alice Bottarelli orchestre un huis clos subtil dans lequel les secrets de famille, les atavismes et les tensions larvées se manifestent et s’éprouvent.
Salué par le prix Georges-Nicole 2022, distinction qui récompense un premier roman non publié, le récit d’Alice Bottarelli nous convie dans un chalet familial, logé dans une clairière de moyenne montagne. Dominique, Virginie, Isabelle et Madeleine, proches de la cinquantaine, s’y réunissent un été pour trier et distribuer les objets qui encombrent le lieu après la disparition de leur mère.
Dominique fronçait les sourcils et laissait échapper ses claquements de lèvres habituels – Isabelle les connaissait bien, et elle les détestait, ces 'tsst' qui avaient ponctué toutes ses bêtises; Dominique les avait empruntés à sa mère et souvent utilisés pour condamner d’un bloc la conduite de sa cadette.
Très vite, cette confrontation directe avec les souvenirs de leur enfance met à l’épreuve les caractères très contrastés des quatre sœurs. Du matérialisme pragmatique de l’aînée à la désinvolture de la petite dernière s’ouvre un champ de tensions qui transforme l’inventaire en un simulacre de règlement de comptes aboutissant, peut-être, à la naissance de solidarités nouvelles.
Un faux "Profil d’une oeuvre"
D’une plume à l’ironie toujours alerte, l’autrice romande décrit avec précision les vestiges d’une époque révolue, les détergents obsolètes, le rangement rigoureux des pantoufles et brosses du chalet. Un naturalisme contrebalancé par le mystère qui plane en permanence sur ce récit. Mystère de ces “démons” qui hantent les bois alentour. Mystère de ces petites phrases, reflets de maximes familiales ou de vieilles lectures, qui s’en viennent parasiter les pensées des quatre sœurs. Mystère, enfin, du sens que recèlent toutes les allusions culturelles, les échos familiers de films, livres ou poèmes qui traversent le récit.
Ces sœurs semblent toutes un peu caricaturales. Ce sont de bonnes bourgeoises, qui ont toutes leurs petites manies, leurs petites obsessions, et qui ont bien du mal à lire leurs propres affects, ce qui en devient comique.
D’un tempérament joueur, l’écriture d’Alice Bottarelli nous mène par le bout du nez, jusqu’à nous inviter à suivre, parfois, de fausses pistes. Ainsi de cette parodie de "Profil d’une oeuvre" qui accompagne chaque exemplaire du roman. A l’image de ces guides d’analyse littéraire bien connus des étudiantes et étudiants, le fac-similé créé par l’autrice décrit de manière péremptoire et très drôle les enjeux narratifs du roman, les thèmes et personnages, n’oubliant pas de citer, en bibliographie, des ouvrages de référence saluant le caractère intemporel des "Quatre soeurs Berger", trente ans après sa première parution.
Doctorante en lettres, spécialiste de l’humour en littérature, Alice Bottarelli manie l’autodérision comme un outil d’affranchissement. Et ce premier roman, dont les thèmes parfois graves s’accompagnent volontiers d’un rire libérateur, en démontre tout le potentiel dans le champ de l’imaginaire.
Nicolas Julliard/aq
Alice Bottarelli, "Les quatre soeurs Berger", ed. de l’Aire
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