C'est un événement qui vous est peut-être déjà arrivé, que vous redoutez de vivre ou dont vous avez été témoin: longtemps cachée, banalisée ou méconnue, la fausse couche est au cœur du roman graphique intitulé "Ce sera pour la prochaine fois". Les deux auteures trentenaires Cléa Favre et Kalina Anguelova ont voulu se saisir de ce sujet délicat et parler de ce moment où la mort succède à la vie. Une vie qui semble ne pas avoir commencé de l'extérieur, mais qui a bel et bien été là.
Le livre nous fait suivre une jeune femme qui vit plusieurs fausses couches. Toutes les étapes sont relatées de façon chronologique, en mots et en images: la mauvaise nouvelle lors de l'échographie, l'expulsion de l'embryon, la colère, l'acharnement pour retomber enceinte, le chagrin, la solitude, le sentiment d'injustice et, enfin, l'apaisement. Dans toute cette traversée, les auteures explorent avec sensibilité l'invisibilité du deuil périnatal qui touche une femme sur quatre au cours de sa vie.
Un deuil considéré comme illégitime
Interrogée sur le titre même de l'ouvrage, Cléa Favre explique que "c'est une phrase qui fait référence aux réactions de certaines personnes quand on leur dit qu'on a fait une fausse couche. La phrase se veut réconfortante, mais elle est extrêmement minimisante. Ces deuils ne sont pas assez reconnus et c'est un vrai problème dans notre société."
Le livre explore tour à tour les sentiments qui peuvent survenir suite à une fausse couche. Il relate avec finesse la dichotomie ressentie entre la volonté de tomber enceinte et la trahison apparente du corps. L'embryon qui a existé à l'intérieur de nous devient subitement "un truc mort à expulser". Or, c'est à la fois un bébé et un projet de vie que l'on a imaginé qui disparaît, rappelle l'auteure, et la tristesse ressentie n'est pas proportionnelle au nombre de semaines de grossesse.
C'est tout le regard de la société sur les fausses couches qu'il faut changer. Il faut en finir avec la culpabilisation des femmes.
Dessiner l'invisible
Le choix du roman graphique imposait plusieurs défis en termes d'illustration, puisqu'il demandait à dessiner aussi bien la solitude que l'attente. L'illustratrice Kalina Anguelova relève le défi avec prouesse: la protagoniste du livre est le seul personnage représenté en entier. Les autres ne sont que partiellement humanisés: les membres du corps médical n'ont pas de visage et les collègues de travail, eux, ne sont que du mobilier. Les injonctions et remarques maladroites de l'entourage ("Tu as peut-être trop forcé?"; "Va falloir que tu te détendes"; "Tu as quel âge au fait?") apparaissent dans des bulles envahissantes, dont la protagoniste va peu à peu se défaire.
Un roman pédagogique
Si le livre "Ce sera pour la prochaine fois" propose une immersion dans l'intime, il se veut aussi informatif. Le roman est entrecoupé d'encadrés pédagogiques réalisés avec des médecins, notamment le service obstétrique du CHUV. Ils détaillent les causes des fausses couches, les frais médicaux, la procédure de l'évacuation de l'embryon. Ils donnent aussi des ressources d'aide et des informations factuelles sur les interruptions spontanées de grossesse. Et rappellent l'absence de responsabilité de la maman en cas de fausse couche.
Charlotte Frossard