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Entre jazz et créolité, l'écrivain Patrick Chamoiseau convie Baudelaire

L'écrivain Patrick Chamoiseau. [Aurimages via AFP - Ulf Andersen]
Entretien avec Patrick Chamoiseau, auteur de "Baudelaire Jazz". / QWERTZ / 32 min. / le 21 juin 2022
L’écrivain martiniquais Patrick Chamoiseau, en collaboration avec le musicien français Raphaël Imbert, publie une méditation poétique et musicale intitulée "Baudelaire Jazz". Rencontre entre un auteur épris de ce que la beauté transcende et un saxophoniste spirituel.

A l’occasion du 200e anniversaire du poète, le Musée d’Orsay invitait Patrick Chamoiseau en résidence afin de célébrer Charles Baudelaire. Parmi les rencontres à l’auditorium, l'une devient une évidence: dialoguer avec le saxophoniste Raphaël Imbert.

Chamoiseau lira ses textes, Imbert jouera le saxophone, la clarinette basse aussi. Dans le prolongement de la pensée de Baudelaire, qui veille à ce que leur chemin les fasse s’élever vers les sommets de beauté transcendante qu’il a convoqués.

L'écrivain Patrick Chamoiseau et le saxophoniste Raphaël Imbert. [Patchwork Studio]
L'écrivain Patrick Chamoiseau et le saxophoniste Raphaël Imbert. [Patchwork Studio]

Baudelaire "jazze"

Ce ne fut pas un défi, l’improvisation élève le niveau de conscience, de perception, d’écoute. Paraphrases, rythmes de mots, rythmes de jazz. Le respect de ce que fut l’histoire du jazz les guide, leur connaissance du sujet et de tous les feuillages qui en sont issus donne corps aux sons, aux polyrythmies, aux alexandrins. Ainsi, comme le dit Patrick Chamoiseau, Baudelaire "jazze". L’évidence s’est imposée, ce sera le titre du livre. Un livre accompagné de musiques de Raphaël Imbert, enregistrées avec le pianiste Pierre-François Blanchard, la chanteuse Célia Kameni et le percussionniste Sonny Troupé. Troupé maîtrise la batterie, et son ancêtre le tambour qui donne le mouvement aux musiques des Antilles, à la Caraïbe.

Importées d’Afrique au travers des souffrances inconcevables des esclaves déportés, ces musiques vont permettre de surmonter. Alors que les bateaux des négriers voient sauter par-dessus bord des milliers d’humains en plein milieu de l’Atlantique pour échapper à leur sinistre destin, les survivants déshumanisés, déracinés, vont chercher le rebond du cœur et de l’esprit afin de se ré-humaniser.

Question de survie

La "ronde", rite pour les morts autorisé par les maîtres français, sera le seul cercle qui permettra de se reconstruire. Baudelaire, lui aussi, vivra l’exil par bateau, histoire de s'éloigner de quelques passions dévorantes et parisiennes. Ainsi en avait décidé son beau-père. L’urgence d’écrire et l’urgence d’improviser se ressemblent, nous dit Patrick Chamoiseau. Nous voici donc embarqués dans le livre "Baudelaire Jazz" qui relie en nous les émotions du jazz et les émotions de la poésie française par un écrivain dont les ancêtres ont incarné les arcanes de ces deux arts narratifs, en créant des langues nouvelles, également signes d’une infériorité présumée.

Dans la plantation, celui qui joue du tambour fera naître celui qui danse, ou vice versa. Le tambour et la danse s’inspirent mutuellement. Porté par les dieux de la polyrythmie, le danseur primordial se débarrassera de cette dépouille qui l’enveloppait, celle de l’esclave, et sollicitera au profond de lui-même l’opaque d’un autre devenir.

Y aurait-il solution? Un fil qui relie les perles du collier de l’exprimable? Patrick Chamoiseau nous invite ici à la suite lumineuse et rythmée d’un corpus considérable consacré à la condition (in-)humaine dans les plantations de sucre en Caraïbe. Un bijou nécessaire à nos pensées élevées sur le Vieux Continent.

Votre écoute du jazz et vos (re-)lectures de Baudelaire seront revivifiées par cet écrit que vous nourrirez aussi de l’écoute des musiques de Raphaël Imbert, incluses dans le livre. Mais ils se suffisent à eux-mêmes, aussi.

Ivor Malherbe/mh

Patrick Chamoiseau, "Baudelaire Jazz", éditions du Seuil.

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