Tout commence un jour d’été en Bretagne, le 5 août 1976. Le jeune Jean-Louis, 18 ans, est en vacances avec sa famille et sa copine. Il a deux frères cadets: Dominique, 14 ans, et Gilles, 11 ans. La journée est amusante et ensoleillée, jusqu’au soir. Alors qu’il sort de la voiture familiale, Gilles est brutalement fauché par une autre voiture roulant à toute allure. Jean-Louis lui tenait la main. Au moment du choc, les mains des deux frères se séparent. Jean-Louis voit ensuite un éclair vert.
Dessiner un traumatisme
Cette image hantera Jean-Louis Tripp pendant longtemps: "La voiture est arrivée très à gauche et l’a fauché sur le marchepied. Je me sentais coupable de l’avoir laissé descendre de ce côté-ci. Cela s’est joué à quelques secondes près", explique-t-il à la RTS. Dans son roman graphique de 300 pages, le scénariste et dessinateur originaire de Montauban dans la région Occitanie raconte, de son point de vue, le déroulement du tragique événement.
Il dessine, sans tabou, le déroulement complet de la scène: la main de Gilles qui s’éloigne, puis son corps, virevoltant en l’air lors du choc avec la voiture. Une décision mûrement réfléchie. "Je ne fais pas beaucoup d’introspection, mais je me demande si je n’ai pas réalisé tout le livre dans le but de dessiner cette page en particulier, car c’est la seule chose que je n’ai pas vue. À la place, j’ai vu un éclair vert. Ensuite, mon frère était vingt-cinq mètres plus loin sur la route et la voiture était en train de disparaître au loin."
Le dessin pour combler les trous de mémoire
Lorsqu’il dessine de manière autobiographique, Jean-Louis Tripp le fait de manière chirurgicale. "Je trace comme une ligne au scalpel sur une ligne temporelle. Je me connecte ensuite aux émotions que je ressentais à l’époque et j’essaie de les restituer le plus fidèlement possible pour les faire partager aux lecteurs et lectrices."
En plus de ses émotions, l’auteur partage les documents officiels liés à l’accident, comme le rapport de police et le témoignage de sa mère, avec laquelle il s’est entretenu lors de la préparation du livre. "Ces aspects factuels ne sont pas questionnables: mon frère a été effectivement fauché ce jour-là, à cette heure-là sur la route. Le chauffeur est parti et l’ambulance l’a amené à l’hôpital. Il y est décédé et je suis allé à la gendarmerie faire ma déclaration. Nous avons ensuite ramené le corps à Montauban." Quant à l’entretien avec sa mère, il lui permet de combler ses trous de mémoire pour reconstituer de manière exhaustive ce qu’il s’est passé.
Reconstitution factuelle à part, le reste de la bande dessinée est centrée autour du point de vue de Jean-Louis Tripp. "Ce sont mes émotions et je ne peux parler que de ce que j’ai vu et ressenti. Je peux également raconter, à travers mes yeux, la manière dont mes parents et mes proches ont vécu ce deuil. Mais je ne mets jamais de pensées dans la tête de quelqu’un d’autre, car nos ressentis sont tous différents."
Une mentalité différente
Ce n’est qu’en été 2019 que l’auteur décide d’adapter cette partie de sa vie en bande dessinée, à la suite de coïncidences expliquées à la fin du livre. "L’accident est arrivé il y a quarante-six ans. Personne, moi y compris, n’imaginait que je pourrais faire un livre dessus. Mais lorsque l’idée a surgie, j’ai écrit le livre très vite. Aujourd'hui, si quelque chose comme ça arrivait, on aurait recours à des cellules psychologiques. Mais dans la mentalité de l’époque et la mentalité de ma mère, on doit garder ces choses pour soi, tout en essayant de ne pas trop montrer sa douleur."
Propos recueillis par Anne Laure Gannac
Adaptation web: Myriam Semaani
Jean-Louis Tripp, "Le petit frère", éditions Casterman.