Lorsque sa mère décède subitement à l'âge de 81 ans, Carole Allamand rentre en Suisse pour s’occuper de ses funérailles. Une longue absence a distendu leurs rapports et plus de dix ans se sont écoulés sans une visite à son domicile. Rien ne l’a préparée à ce qu'elle découvre. Objets et déchets ont envahi tout l’espace, englouti les meubles, retiré aux pièces leur fonctionnalité, confiné sa mère dans moins de cinq mètres carrés.
De cette découverte va découler pour l'auteure un travail d'exploration, d'excavation, d'archéologie presque, puisqu'il y a des strates d'affaires à trier et à jeter dans son appartement. Mais il s'agit aussi d'une plongée dans la vie de sa mère et dans la relation particulière qui les unit, faite de peu d'affection, d'absence de tendresse de part et d'autre.
Un syndrome identifié il y a 50 ans
La mère de Carole Allamand souffrait de ce que l'on appelle le syndrome de Diogène. Au fil des pages, l'auteure interroge ce mal étrange par le biais de la médecine, de la psychologie, mais aussi de la littérature. "Les psychologues et les psychiatres ont identifié ce syndrome il y a une cinquantaine d'années mais les écrivains en parlent depuis toujours, à commencer par Nicolas Gogol", explique l'auteure.
Professeure de littérature contemporaine française dans le New Jersey, Carole Allamand s'est tournée vers les livres pour tenter de comprendre comment l'on peut vivre "dans un tel inconfort, comment on peut se condamner à n'occuper qu'un mètre carré ou deux d'un appartement qui en faisait tout de même 80, comment on peut vivre avec les relents et les odeurs des ordures qu'on ne sort plus depuis des années."
Un mal invisible
Paradoxe de l'histoire, sa mère était toujours élégante. "Il reste beaucoup d'interrogations, mais celle-ci a été la plus saillante. (...) Une tache sur une blouse la rendait malade, elle suivait la mode et dépensait beaucoup d'argent pour des vêtements de marque et des accessoires. Et, en même temps, elle avait adopté la tactique du compostage des habits puisqu'ils finissaient au sol. Visiblement, soit elle en rachetait, soit elle amenait au pressing ce qui pouvait être récupéré. C'est un grand mystère: comment a-t-elle fait durant toutes ces années pour être si pimpante?", s'interroge sa fille.
Tenu comme un journal, le livre s'inspire des notes et des photos prises peu après la découverte de l'appartement. Les descriptions des espaces encombrés de l'appartement sont authentiques et le ton alterne entre confidences et enquête sur les origines du syndrome. Le livre représente une forme d'hommage à la vie de sa mère, somme toute assez triste.
"A mon avis, cette vie triste est à l'origine de ce syndrome parce que tous les dérapages, les désordres, les folies sont toujours des réponses individuelles, comme des cris uniques. C'est ce cri que je voulais un peu élucider, me pencher sur une vie que j'avais très peu connue parce que ma mère parlait très peu et parce que nos rapports ont constitué une exception à la règle mère-fille. Il y a toujours eu entre nous une très grande distance", reprend Carole Allamand.
Exorciser l'enfance
Dans ses premiers livres, "La plume de l'ours" ou "Marathon, Florida", Carole Allamand livrait déjà des confidences sur son enfance très rude à Genève ponctuée de violences familiales. L'écriture est-elle une manière de réparer cette enfance-là? "Oui certainement, admet l'auteure. On écrit toujours contre quelque chose, on exorcise. On en fait un récit. Les choses deviennent acceptables quand on peut les raconter. (...) En remettant les choses dans l'ordre, on peut s'en libérer un petit peu. Je pense que ce livre a été thérapeutique, comme les précédents."
Propos recueillis par Anne-Laure Gannac
Adaptation web: Melissa Härtel
"Tout garder", Carole Allamand, éditions Anne Carrière