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Emmanuelle Bayamack-Tam, politique et transgressive dans "La treizième heure"

L'écrivaine Emmanuelle Bayamack-Tam. [P.O.L - Hélène Bamberger]
Entretien avec Emmanuelle Bayamack-Tam, autrice de "La treizième heure" / QWERTZ / 36 min. / le 24 août 2022
L'inclassable autrice d’"Arcadie" revient dans la rentrée littéraire avec, comme d’habitude, un roman hors-norme. Dans "La treizième heure", on retrouve le personnage de Farah, adolescente intersexuée, élevée cette fois-ci dans une secte où on récite de la poésie.

Dès son premier roman, "Rai de cœur" (1996), Emmanuelle Bayamack-Tam est apparue comme une autrice totalement unique à l’intérieur du paysage littéraire français. Subtil alliage d’érudition, de transgression et de questionnement identitaire, son nouveau texte s’impose dans cette rentrée par sa phrase, son rythme, et par ses personnages, des êtres en quête de liberté, farouchement attachants. Et s’il est plus ouvertement politique que les précédents, ce livre semble aussi plus mélancolique…

Trois voix se succèdent à l’intérieur de "La treizième heure". Farah, ado intersexuée qui décide d’enquêter sur un mystère: elle veut savoir pourquoi sa mère, Hind, l’a abandonnée dès sa naissance. Farah a été élevée par son père, Lenny - deuxième narrateur de ce livre. Lenny, altruiste au grand cœur, est le gourou d’une communauté qu’il a créée, sorte de secte où l’on récite de la poésie. Autour de lui se rassemblent divers inadaptés en tout genre. Hind prend ensuite la parole dans le livre, pour raconter sa vie de femme trans, entre tragique et flamboyance.

Pour une mère acceptable, il y en a dix qui sont folles à lier

Extrait de "La treizième heure" d'Emmanuelle Bayamack-Tam

Le roman le plus politique de Bayamack-Tam

L’autrice, qui signe aussi sous le pseudo de Rebecca Lighieri, est une de ces pépites que compte l’éclectique et exigeant catalogue des éditions P.O.L. Ce qui frappe, c’est la cohérence de son œuvre. Dans la quinzaine de romans et pièces de théâtre qu’elle a écrits, Bayamack-Tam travaille un certain nombre de thématiques qu’elle croise et observe chaque fois sous un jour nouveau. Son intérêt pour l’incertitude de genre, la non-binarité, le mystère souvent non résolu des origines et le métissage, ses personnages qui refusent toute assignation et construisent des vies en marge constituent autant d’exhortations à l’indépendance, à la liberté de s’affranchir de toute normativité.

Pourtant, ce nouveau roman, écrit en partie pendant les mois de confinement, semble plus mélancolique et sombre que les précédents. Dans de très belles pages, Hind et Lenny réfléchissent à la mort, au vieillissement, listent les échecs d’une vie et les amours perdues.  "La treizième heure" est aussi sans doute le roman le plus politique de Bayamack-Tam, qui met en scène des protagonistes abandonnés du libéralisme galopant, dont ils dénoncent les méfaits. Et préfèrent se réunir pour lire de la poésie, hors de la violence du monde.   

Les obsessions, on n'en a pas tant que ça dans une vie. J’ai envie d’explorer les miennes, la dissidence, le désir de vivre autrement, l’intersexuation, la transidentité, les familles dysfonctionnelles, on peut en effet retrouver ça de livre en livre.

Emmanuelle Bayamack-Tam

Un récit tissé de citations

Mais, au-delà des thèmes abordés, le travail de Bayamack-Tam se distingue par sa forme. Comme les précédents, ce texte est tissé de citations littéraires et de vers classiques, cachés à l’intérieur même des phrases de la romancière. Surtout, les personnages eux-mêmes partagent leurs références et défendent leurs choix littéraires: la poésie pour Lenny, le roman pour Farah et la chanson populaire pour Hind.

Trois univers en parallèle, trois façons de travailler la langue, trois imaginaires s’affrontent ici, et à la fin du livre la liste non exhaustive des différents auteurs cités, de Madame de Lafayette à Serge Lama en passant par Lovecraft, laisse mesurer l’étendue de la palette de Bayamack-Tam.

Sylvie Tanette/aq

Emmanuelle Bayamack-Tam. "La treizième heure", éd. P.O.L.

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