Modifié

Avec "Les enfants endormis", Anthony Passeron brise le silence des années sida

Anthony Passeron. [Editions Globe - Jessica Jager]
L'invité: Anthony Passeron, "Les enfants endormis" / Vertigo / 24 min. / le 23 août 2022
Récit familial fort et chargé d'histoire collective, "Les enfants endormis" d'Anthony Passeron raconte l'apparition du sida dans la France des années 1980 et la solitude des familles qui ont dû y faire face. Un premier roman aussi puissant que pudique, nominé dans la première sélection du Prix Décembre.

Anthony Passeron présente son livre "Les enfants endormis" comme "le fruit des silences" de sa famille autour de son oncle Désiré, décédé en 1987 d'une embolie pulmonaire des suites du sida.

Fils préféré de sa mère Louise, une Italienne qui a dû beaucoup travailler pour trouver sa place en France, Désiré est la fierté de cette famille de bouchers modestes qui vit dans un petit village près de Nice. Au cours de ses études universitaires, le jeune homme se passionne pour la littérature et les musiques émergentes d'alors, mais découvre également les paradis artificiels, puis l'héroïne. "Une pratique qui n'était pas encore associée à une maladie mortelle", précise Anthony Passeron, interviewé dans l'émission "Vertigo".

Toxicomanie et maladie honteuse

A la fin des années 70, la toxicomanie se banalise dans cette France provinciale et provoque une véritable épidémie qui précède celle du sida. D'où le titre du livre, "Les enfants endormis". "Dans ce village où tout le monde se connaît et où tout se sait, on retrouve de jeunes gens littéralement endormis dans les ruelles, une seringue plantée dans le bras, raconte Anthony Passeron. Une situation qui va sceller le déni de leurs parents qui comptent sur la discrétion de chacun et chacune pour ne pas ébruiter ce phénomène."

De son côté, Désiré entre dans le cycle infernal des cures, promesses, espoirs, rechutes, vols, mensonges et finit par contracter le sida, une maladie quasiment inconnue à l'époque.

Double narration

Dans son livre, Anthony Passeron a fait le choix d'alterner le récit familial intime avec des passages très documentés qui reviennent sur la découverte du sida dans les hôpitaux et laboratoires de recherche français et américains.

Une double narration qui s'est imposée à ce professeur d'histoire très rapidement: "J'ai essayé de comprendre ce que l'on pouvait savoir de cette maladie dans le village de mes grands-parents à ce moment-là. Souvent, les membres de ma famille qui ont accepté de me répondre m'ont dit: 'On ne savait vraiment rien', indique le primo-romancier. C'était important pour moi d'écrire là-dessus, car ça a été tellement brutal, violent et rapide. Il n'y avait que l'écriture qui pouvait remettre dans l'ordre cette histoire."

Silence et solitude des familles

Touchant en premier lieu les hommes homosexuels, la maladie prend le nom de "syndrome gay" dans les principaux médias et devient une maladie honteuse. Une méconnaissance qui va figer le déni, le silence, le désarroi et la solitude des familles touchées.

"Déjà que Louise ne pouvait pas appréhender la toxicomanie de son fils, elle pouvait encore moins dire qu'il avait attrapé, par cette toxicomanie, une maladie que l'on réservait, du moins dans le monde médiatique, à la communauté homosexuelle. Elle n'avait pas les mots pour expliquer cela", s'exclame Anthony Passeron.

"C'était très important de borner le récit familial à l'état des connaissances internationales, précise encore l'écrivain. Ma famille a vécu cela dans une solitude absolue. Je voulais qu'ils découvrent, même tardivement, que pendant ce temps, des gens sont allés au-delà des préjugés, ont attiré l'attention et ont travaillé dans leurs laboratoires pour finalement réussir à comprendre la maladie de leurs enfants et proposer des premières tentatives de traitements."

Un récit moins triste que la réalité

Sa famille a-t-elle lu son livre? "Une petite partie de la famille l'a lu et a eu une réaction très pudique, indique Anthony Passeron. Ils m'ont dit: 'ton livre est moins triste qu'en vrai', alors que je le trouvais déjà assez triste. Mais ce qui m'a marqué, c'est que ces gens qui s'étaient tus recommencent maintenant à parler de cette époque-là. J'ai l'impression qu'il y a une forme d'apaisement."

Quant aux membres de sa famille qui ne l'ont pas lu, "il y a, je pense, une grande inquiétude, parce que, d'une certaine manière, je les dépossède de ce silence, de ce couvercle qu'ils avaient remis sur la marmite. Pour eux, c'est assez violent", conclut l'écrivain.

Propos recueillis par Anne Laure Gannac

Adaptation web: Andréanne Quartier-la-Tente

Anthony Passeron, "Les enfants endormis", éditions Globe

Publié Modifié