On se demande comment il fait, Joseph Incardona, à construire des intrigues aussi intéressantes sans faire de plan, en suivant au fil de l'écriture quelques idées fondatrices, en allant où ses protagonistes le mènent.
"Les corps solides", c'est l'histoire d'un amour maternel et filial. Anna, la maman, et Leo, l’ado. Ils vivent dans un mobile-home quelque part sur la côte atlantique française. Elle vend des poulets grillés. Et cultive sa consommation personnelle de cannabis. Lui se passionne pour le surf.
Précarité et télé-réalité
C'est l'histoire d'une société qui broie les gens à travers mille rouages – et les gens eux-mêmes sont rouages. Financièrement en difficulté, pour protéger son fils, Anna accepte ce qu'elle voyait jusque-là comme une indignité: participer à un jeu de télé-réalité pour remporter de quoi rétablir la situation.
Ce jeu, c'est l'idée cardinale du roman. Ça s'appelle juste "Le Jeu". Les concurrents sélectionnés posent la main sur un gros pick-up 4x4 rutilant. Le dernier qui en retirera sa main l'emportera. Une incroyable métaphore. Ce que je touche est à moi. Fantasme de puissance. Célébration de la bagnole, fétiche d'un autre temps.
"C'est un roman sur la dignité"
Ainsi les participants soumettent leur corps et leur âme à une chose. Après quelques dizaines d'heures, c'est leur souffrance, leur détresse – celle qui les pousse à participer, et celle que "Le Jeu" leur inflige – que les caméras viennent sucer à même leur visage défait. Le spectacle vampirise leur dignité. Face à l'infâmie, une planche de salut: le surf. Le surf, qui est relation sublime à l'océan, observation, patience, beauté, cosmos.
Mais l'intrigue a d'autres étages, dans les sphères du pouvoir. Car "Le Jeu" est là pour relancer l'industrie automobile française. Une Présidente de la République remplie de sa mission humaniste et citoyenne joue sa partie face à un capitaine d'industrie. Elle ne part pas favorite.
Il y a encore la figure perdue du père de Leo, qui lui délivre des messages. Des personnages et des intrigues secondaires achèvent de tisser ce roman, que l'on pourrait le dire réaliste - jusqu'à son merveilleux final. Incardona le tresse dans un timing à la James Bond. Les gens ordinaires deviennent extraordinaires. Incardona use de cette catharsis pour nous délivrer son message à lui.
Entre cynisme et fraternité
Qu'ai-je le plus touché dans ma vie, se demandent Anna et l'auteur. Mon fils? Mon smartphone? Le volant de ma voiture?
Dans tous ses livres, Joseph Incardona contemple ses personnages et leur monde entre cynisme et fraternité. Parfois c'est le cynisme qui l'emporte. Cette fois, c'est l'amour. Maternel, corporel. "Les corps solides" est sans doute à ce jour son roman le plus sentimental. Les larmes aux yeux.
Francesco Biamonte/ld
Joseph Incardona, "Les Corps solides", ed. Finitudes, 272 p.
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