Dans "Taormine", Yves Ravey questionne notre responsabilité face à un accident

C’est une histoire qui débute de façon plutôt banale: un couple proche de la rupture décide de partir en vacances afin de trouver un peu de calme et de repos. La destination choisie est la Sicile, Taormine, plus précisément: une ville huppée sur une falaise à deux cents mètres de hauteur, face à l’Etna, source d’inspiration de nombreux artistes et de légendes.

Le couple, Melvil et Luisa, atterrit à l’aéroport de Catane, loue une voiture et se dirige vers sa destination. En chemin, Melvil quitte l’autoroute et prend une voie de raccordement. Sur cette route, la voiture heurte un obstacle: c’est le choc. Mais Melvil, déterminé à passer des "vacances réussies", décide de poursuivre sa route... avec cette question qui va assiéger le couple et qui constitue le cœur du roman: qu’est-ce que la voiture a bien pu renverser? Quelle est cette forme qui a été heurtée? Serait-ce l’enfant du campement de migrants, dont on retrouve le corps quelques jours après et dont la mort agite l’île tout entière?

Dans toute vie, dans toute existence, un accident bouleverse une situation. Vous avez une ligne droite, idéale. Mais l’accident bouleverse tout. Et le problème, c’est de poursuivre.

Le bouleversement de l’accident

Dans ce roman à suspens, Yves Ravey, lauréat du prix Marcel-Aymé pour l’ouvrage "Le Drap", et lauréat en Suisse du Grand Prix de Littérature en 2011 (alors prix Renfer), choisit d’observer les réactions de Melvil et Luisa en toute impartialité – comme le ferait un troisième passager assis sur la banquette arrière. Le lecteur s’immisce alors dans le fonctionnement interne de Melvil qui rationalise l’événement disruptif et en rejette toute responsabilité, dans l’espoir de s’en tenir aux vacances qui étaient prévues.

"Dans toute vie, dans toute existence, un accident bouleverse une situation, analyse Yves Ravey. Vous avez une ligne droite, idéale. Mais l’accident bouleverse tout. Et le problème, c’est de poursuivre, malgré le changement de direction qu’on est obligé de prendre. L’idée de l’accident, c’est bien entendu l’accident avec une voiture, mais c’est aussi l’accident mental que cela représente, l’accident psychologique."

Melvil et Luisa, deux anti-héros

Certes, Yves Ravey s’abstient, comme à son habitude, d’entrer dans une analyse psychologique de ses personnages, mais il ne se prive pas pour autant de consigner et décortiquer leurs réactions dans leur humanité la plus brute. Nulle place n’est faite à l’héroïsme et la moralité, et c’est précisément cet aspect qui intéresse tant l’écrivain: "Melvil et Luisa ne sont pas des héros, mais des personnages qui sont en vacances, explique Yves Ravey. Le héros, c’est celui qui est transcendé par les dieux, qui est susceptible de changer le cours des situations, et qui sauve la situation."

Si l’accident résonne rapidement dans l’ensemble de l’île et en révèle ses travers, c’est aussi dans le couple qu’il trouve un fort écho. En désaccord sur la gestion de l’accident et sur ses causes, le duo devient la caisse de résonance de l’incident. Il tente alors, coûte que coûte, d’utiliser les ressources de l’endroit dans lequel il se trouve pour s’extirper de sa situation.

Un engrenage haletant traversé par des questionnements sur la fatalité et sur la responsabilité humaine face aux tragédies de la vie, qui n’est pas sans rappeler le passage d’Ulysse sur l’île légendaire.

Charlotte Frossard/aq

"Taormine", Yves Ravey, ed. de Minuit

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