Réalisatrice de documentaires sous-marins, Isabelle revient dans le village de son enfance, au coeur des Alpes, pour retrouver son père après de nombreuses années de séparation. Son frère Olivier, qui vit sur place, avait insisté pour qu'elle vienne: leur père commence à perdre la mémoire, atteint par "la maladie de l'oubli". A son arrivée, de nombreux souvenirs assaillent alors Isabelle, enfant mal-aimée de ce père terrifiant, haï autant qu'adoré.
Dès les premières lignes du récit, la tension du retour vers le père si redouté infuse le récit, écrit à la première personne. Ce "je" se distribue entre les trois personnages principaux de l'intrigue même si le personnage féminin, Isabelle, prend en charge l'essentiel de la narration.
Me voilà donc revenue. Il le fallait, un jour ou l'autre. Je n'avais pas imaginé que ce serait de cette façon-là, face à l'effritement, au délitement. Toi, mon père, tout en colère, tout en dur, en résistance, en impatience. Alors oui, dès que j'ai pu, j'ai fui la montagne, j'ai fui ta colère, j'ai fui notre mère brûlée par cette incandescence.
Un père étranger
"Les retours sont toujours compliqués, surtout quand ils arrivent après des années de fuite. (....) A un moment, peut-être est-ce qu'il faut que la fuite cesse? [Isabelle] comprend que c'est la dernière possibilité probablement d'avoir une ultime rencontre (...) et peut-être aussi la dernière possibilité de comprendre ce père si étranger et si destructeur", explique Gaëlle Josse dans l'émission "Quartier Livres" de la RTS, enregistrée lors de la dernière édition du Livre sur les quais à Morges.
Virtuose dans l'art de décrire les sentiments qui se bousculent dans l'esprit de ses personnages, Gaëlle Josse, qui signe ici son neuvième roman, s'est inspirée pour cet ouvrage de ses propres questionnements. Car sans être une autofiction, "La nuit des pères" lui est très personnel. "Je me suis demandé toute ma vie de quel côté le fléau de la balance avait penché, si j'avais davantage été construite ou détruite par ce père jusqu'à réaliser qu'on ne fait pas la part des choses et qu'on est obligé de prendre l'héritage en entier", livre l'auteure.
Protéger le plus faible
En racontant son histoire, la narratrice s'adresse constamment à son père, comme si ce dispositif lui permettait enfin de lui parler après toutes ces années. Au crépuscule de son existence, l'homme s'enfonce petit à petit dans son propre brouillard.
"C'est un homme malade, un homme diminué, un homme fragile qu'il va falloir protéger. Je trouve cela très perturbant de se dire 'comment vais-je protéger celui qui ne m'a finalement jamais protégée?'", relève Gaëlle Josse.
Les traumas de la guerre
Durant ces quelques jours de retrouvailles familiales, le père prend un soir la parole pour raconter les horreurs qu'il a vécues, jeune, en Algérie. Des atrocités qui ont fracassé une génération, qu'il n'a jamais pu exprimer et qui le réveillent encore chaque nuit. "Ce père a été noyé, immolé, submergé dans cette histoire. On n'est pas toujours en mesure de réparer la souffrance qu'on a vécue.(...) Ce père est toujours immergé dans cette nuit, à laquelle s'ajoute cette autre nuit dans laquelle il est en train de rentrer."
On le sait, les traumatismes infusent sur la descendance familiale. Ni Isabelle ni Olivier, cette fratrie attachante, n'auront d'enfants. "Le sang du père et son poison n'iront pas plus loin. Extinction.", écrit Gaëlle Josse. Ce récit bouleversant s'apaise vers la fin et s'élève au sommet des montagnes tant arpentées par le patriarche. Des cimes somptueuses et arides où la vie et la mort se mêlent, parfois brutalement.
Propos recueillis par Nicolas Julliard
Adaptation web: Melissa Härtel
Gaëlle Josse, "La nuit des pères", éd. Notabilia.
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