"Moi, je vivais sur mes gardes, je n'étais jamais tranquille, j'avais la trouille collée au corps en permanence. Je voyais la faiblesse de ma mère, la stupidité et la cruauté de mon père. Je voyais l'innocence de ma soeur aînée. Je voyais tout."
L'enfance de Jeanne n'est pas comme les autres, annonce le roman "Sa préférée" dès ses premières lignes. Dans les montagnes valaisannes, elle est faite de violence et de terreur, sous les coups d'un père sans pitié. Son échappatoire est celle d'une fuite pour la vie, accablée par le suicide de sa soeur et son incapacité à atténuer les souffrances de sa mère.
Devenue adulte, Jeanne tente tant bien que mal de s'ancrer dans une nouvelle vie à Lausanne, entre la natation apaisante dans le Léman et des relations amoureuses tortueuses. Mais la violence fondatrice, comme tout tremblement de terre, n'en finit pas de hurler ses secousses.
Je suis née en colère. Je ne peux pas faire autrement.
"Sa préférée" respire d'authenticité mais n'est pas pour autant l'histoire personnelle de son auteure, Sarah Jollien-Fardel. "J'ai été inspirée par une atmosphère générale d'une époque, qui se situe dans les années 1970 en Valais, où être une femme, c'était déjà subir une forme de violence." Egalement bénévole dans un foyer pour femmes battues, la Valaisanne reconnaît ressentir une colère similaire à celle de son personnage principal, Jeanne: "J'ai absorbé plein de choses. Qui peut nier aujourd'hui la violence du monde? C'est impossible. (...) Je suis née en colère. Je ne peux pas faire autrement. Tout me révoltait."
Le silence de la montagne
Née en 1971, Sarah Jollien-Fardel passe elle aussi son enfance dans un village de montagne, dans le district d'Hérens en Valais. Le silence des adultes auquel Jeanne est confrontée est un silence dont elle a été elle-même témoin. "J'ai un peu l'impression que dans les villages, à la fois tout se sait et tout le monde se tait, et à la fois, tout le monde médit, se souvient Sarah Jollien-Fardel. C'est vraiment ce balancier. Quand j'étais jeune, plutôt que de le voir comme un respect de la vie privée de l'autre, je voyais ça comme de la lâcheté et de la méchanceté."
Dans "Sa préférée", c'est le médecin du village, tant admiré par Jeanne, qui représente parfaitement la couardise de l'entourage. Bien que confronté aux preuves de la violence sur le corps de l'adolescente, le docteur Fauchère renonce à briser l'omerta qui entoure le comportement du père de famille.
L'impossible pardon
A la question de la violence se joint, dans "Sa préférée", celle du pardon. Le personnage de Jeanne se trouve incapable de pardonner, malgré la demande qui en sera faite par son entourage et par son père en personne - au point d'en devenir elle-même cruelle. "Je sais exactement ce que c'est de ne pas pardonner, confie Sarah Jollien-Fardel. Je pensais qu'en écrivant, ça allait peut-être permettre que je passe par-dessus. Mais je n'y arrive pas. Et en même temps, je juge Jeanne. Et me juge moi-même."
L'enfance vécue, dans tous ses traumatismes, est ainsi toujours prête à surgir dans la vie de Jeanne. Avec le désir initial d'être aimée: "Malgré tout, malgré l'horreur que le père fait subir à sa soeur, à sa mère et à elle-même, Jeanne voudrait être la préférée. Et ça, c'est quelque chose qu'on retrouve dans des témoignages, que j'ai écrit instinctivement. Même à ce moment-là, même avec un père comme ça. (...) On cherche toujours à être aimée par son père et sa mère."
Propos recueillis par Anne Laure Gannac
Adataptation web: Charlotte Frossard
Sarah Jollien-Fardel, "Sa préférée", éditions Sabine Wespieser, lauréate du 21e prix du roman Fnac. En lice encore pour le prix Goncourt et le prix des lecteurs de la Ville de Lausanne 2023.
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L'auteure vaudoise Anne-Sophie Subilia sur la liste du Prix Femina
Après la Valaisanne Sarah Jollien-Fardel, primée pour son premier roman "Sa préférée" par le Prix Fnac après avoir été sélectionnée trois jours plus tôt pour le Goncourt - et d'office au Goncourt des Lycéens -, c'est au tour d'Anne-Sophie Subilia, 40 ans, et qui vit à Lausanne, de voir son roman "L'épouse" retenu par un prestigieux prix littéraire français, le Femina.
Dans cet ouvrage paru chez Zoé, elle suit la compagne d’un délégué du CICR dans les territoires palestiniens au milieu des années 1970. Il s’absente souvent pour sillonner la région pour y inspecter les prisons et aider la population. Peper, son épouse ne travaille pas et s'enlise dans le désoeuvrement.