Le déroulement d’une rupture n’a de secrets pour personne. Elle entraîne, en l’espace de quelques secondes, une transformation de notre statut conjugal, de nos perspectives et de notre quotidien. Passé de possibles altercations, on se répartit les affaires et autres objets accumulés au fil du temps; on en jette une partie, on s’adresse nos derniers reproches et on se quitte.
Mais plutôt que de s’intéresser à ce point de bascule, Odile Cornuz choisit d’arpenter le chemin à rebours: ce qu’elle démêle dans "Fusil", c’est l’ensemble d’indices qui précèdent la séparation d’un couple, et l’annoncent – des traces à la limite de l’invisible, à peine palpables, logées dans la négligence et les mots acides. "J’ai essayé de trouver une forme littéraire aux choses non dites du quotidien; d’exprimer des choses qui sont peu exprimées", confie l’auteure, déjà lauréate de plusieurs prix d’écriture.
Le fusil, c’est le symbole de la menace. La menace qui plane sur ce couple.
Les objets, jalons du couple
Pour structurer son récit, Odile Cornuz a choisi de recourir aux objets. Chaque chapitre porte le nom - et le dessin, réalisé par l’auteure elle-même - d’un objet: bocal, bracelet, mètre ruban, poubelle, par exemple. Tous symbolisent une étape de la vie de ce couple. "Notre vie quotidienne s’appuie beaucoup sur les objets, sans avoir forcément une démarche matérialiste, explique-t-elle. On se débat avec la matière, les matières autour de nous, qui ont un aspect symbolique. Je pense que notre rapport aux objets dit beaucoup de notre rapport à la vie."
Si les objets jalonnent le cheminement conjugal, le désir de possession et de domination de l’homme, lui, existe bel et bien. En toile de fond de "Fusil" se dessinent des questionnements plus vastes sur les rapports de pouvoir qui peuvent exister entre hommes et femmes et, plus largement, sur la dynamique de l’emprise.
Fusil, l'objet choisi comme titre du roman est donc lourd de sens. Mentionnée de façon récurrente au sein du roman, l’arme recèle toute une potentialité de violence réelle et allégorique: "Le fusil, c’est le symbole de la menace. La menace qui plane sur ce couple, analyse Odile Cornuz. Je viens du théâtre et on dit que si un fusil est sur scène au début de la pièce, il y a de fortes chances qu’il ait un rôle à jouer par la suite de l’intrigue ou des événements."
Le fusil, enfin, c’est aussi l’objet qui est réclamé par l’homme à la femme, vingt ans après la rupture. "C’est une sorte de surgissement de l’arme dans un couple qui n’est plus. C’est ce qui va permettre de reprendre le fil de l’histoire telle qu’elle a commencé."
La figure de l’enfant
L’homme et la femme sont bien au cœur du premier roman d’Odile Cornuz, mais ils ne sont pas seuls pour autant. Une enfant gravite autour du couple: l’enfant de la femme, issue d'un premier mariage. Figure de lucidité, victime de la relation entre les deux adultes, le personnage de l’enfant permet d’esquisser un point de vue qui confine à celui du lecteur. "L’enfance de chacun est une ressource forte. D’émerveillement, de curiosité et de lucidité aussi, car le regard de l’enfant a ce côté neuf, sans surplomb. C’est une manière de comprendre le monde de manière intuitive, sans qu’il y ait de jugement préconçu. La tierce personne a un autre regard sur le couple; elle est dans le pas de côté, dans la découverte trop hâtive des difficultés de l’existence."
Le premier roman d’Odile Cornuz fait partie de la sélection 2023 du Prix des lecteurs de la Ville de Lausanne.
Charlotte Frossard/ls
Odile Cornuz, "Fusil", Les éditions d’en bas.
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