Astor, Nil, Issa, Demba, Chérif sont camarades d'enfance et de quartier. Ils aiment se retrouver au pied des bâtiments ou sur un coin de parking pour griller des brochettes et boire des canettes de soda. C'est l'été, et cette bande d’amis se déploie comme une traînée de poudre dans les premières pages de "Deux secondes d'air qui brûle".
Diaty Diallo, l'autrice de ce premier roman incandescent et déchirant, les a voulus drastiquement ordinaires. Ni héros ni voyous; tout simplement humains. Ils sont jardinier, éducateur, étudiant en droit ou artiste. Nonchalants ou scrupuleux, ils aident les mamans à monter leurs caddies de courses, ils surveillent leurs petits frères, ils guettent timidement les filles qui leur font chavirer le cœur. Ils mènent des existences tranquilles, mais trop régulièrement trouées par les contrôles de police.
C'est une fois en la présence des agents que les gars captent qu'ils vont devoir se justifier, encore, sur ce qu'ils font de leur existence à ces dépositaires qui ne les valident pas par principe. Depuis le temps, on a évidemment appris à exécuter les ordres sans faire de commentaires pour que ça aille plus vite, poursuivre la fête ou rentrer chez nous.
Le jour où le jeune Samy se fait abattre d’une balle dans le dos, c'est toute la communauté qui saigne. Pour dire cette perte injuste, tragique mais tristement familière, pour raconter les vies brisées par les violences policières, Diaty Diallo glisse dans une langue endeuillée qui pourtant ne s'apitoie pas. En décrivant précisément les symptômes, les couleurs, les "météos intérieures" et les mutismes du chagrin, la primo-romancière francilienne de 33 ans dit à la fois la colère et la stupéfaction, l’impuissance et la dignité.
Un roman-témoignage
Diaty Diallo a grandi en banlieue. Dans l’espace public, elle est perçue comme une personne racisée. C'est une fidèle des manifestations, des "trop nombreux événements de commémoration et marches qui ponctuent [les] années de lutte" et de combat antiraciste. Son roman est le témoin de ces expériences, mais il n'en est pas la victime.
L'histoire est née d'un trop-plein de mauvaises perceptions de nos identités. Pourtant, en cours de route, j'en ai eu ras-le-bol de devoir justifier de nos humanités, de devoir dire: "ceci est un homme, ceci est un humain". J'ai changé mon fusil d'épaule, essayé de construire cette histoire en dehors du regard de la domination.
Hors-champ, donc, Diaty Diallo rend son panache, son sublime et sa créativité à des personnages habituellement malmenés par les discours médiatiques et les volontés politiques. Son écriture a le tempo d'un cœur qui bat la chamade, d'une résistance dansée, d'un instinct de survie si puissant qu'il peut faire exploser les murs, les dalles, les phrases et les basses qui crachent la musique d'une fête collective, expiatoire, nécessaire.
Salomé Kiner/ld
Diaty Diallo, "Deux secondes d'air qui brûle", ed.Seuil.
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