C’était il y a vingt ans, quelque part à Lyon. Un jeune couple très heureux venait d’acheter une petite maison et se réjouissait de la rénover. Ce jour-là, Claude devait aller chercher leur petit garçon à l’école. Brigitte Giraud était à Paris pour la sortie de son deuxième roman, "Nico". Et Claude a eu un accident de moto.
Ce deuil impossible, la romancière l’avait déjà évoqué en 2001 dans "À présent". Vingt ans plus tard, alors qu’elle a décidé de vendre la maison où Claude n’aura jamais vécu, elle reprend la plume pour ausculter toutes les circonstances qui ont provoqué un drame qui reste, pour toujours, absurde. Et s’ils n’avaient pas acheté une maison dans ce quartier-là? Et s’il n’y avait pas eu une moto dans le garage? Et si elle n’était pas allée à Paris ce jour-là?
Plutôt qu’un récit linéaire, Brigitte Giraud nous propose un puzzle. A travers chaque chapitre, l’observation des choix des protagonistes la conduit à construire une très fine analyse sociologique et politique.
J'avais vraiment envie que ce livre soit chargé de l'histoire des autres, de l'histoire collective. Parce que l'intime n’a de sens que parce qu'il résonne avec une époque, une société, avec un lieu, avec ce que vivent les autres avant vous et en même temps que vous. J'avais envie qu’on voie ce qu'étaient les années 90.
Le portrait d’une époque
Au-delà de l’intime, son livre dresse le portrait d’une époque, d’une génération, d’un milieu social. La romancière étudie comment deux jeunes gens grandis en HLM, passionnés de rock et de littérature, décident de s’installer dans le centre de Lyon, avant d’en être chassés un peu plus tard par l’augmentation des loyers.
Giraud plonge dans leurs origines, le passé de leurs familles pour chercher les déterminismes qui poussent les individus vers tel ou tel mode de vie. Le livre conduit même à une réflexion sur la mondialisation et les méfaits du libéralisme, car Giraud enquête sur la moto elle-même, et raconte comment un bolide conçu au Japon, interdit là-bas, car jugé trop dangereux, a pu être importé en France. Elle retrace ainsi le chemin d’un tel objet depuis l’Asie jusque dans la ville de Lyon.
Et, comme dans "L’amour est très surestimé", recueil qui lui avait valu le Goncourt de la nouvelle en 2007, la romancière ausculte les relations du couple, les injonctions sociétales qui l’entourent, les choix qui décident de l’organisation de la vie familiale et de la façon dont de jeunes parents s’occupent de leur petit garçon.
Il s'était reconnecté avec sa fougue adolescente, il était allé titiller cette zone obscure lovée au fond de lui, où sommeillait sans doute ce qui ressemblait à une violence enfouie depuis cette enfance arrachée à l'Algérie en guerre, il avait peut-être voulu faire corps avec la phrase de Lou Reed, ce vivre vite, mourir jeune, encore que je n'en sais rien.
Ce livre est aussi un magnifique portrait. Celui de Claude, jeune pour toujours, passionné et passionnant, que l’autrice désigne encore aujourd’hui comme étant l’homme de sa vie. De très belles pages sont consacrées à son amour de la musique et son souci de le faire partager. Dans une dernière partie du livre, Brigitte Giraud enquête sur les heures qui ont précédé le drame, reconstruit minute après minute tous les gestes de Claude, s’interroge sur ses dernières pensées, dans une tentative, désespérée, de retenir l'inéluctable.
Sylvie Tanette/aq
Brigitte Giraud, "Vivre vite", ed. Flammarion.
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