L'intrigue débute au cœur du Proche-Orient, dans la ville de Gaza qui se relève péniblement de la guerre du Kippour de 1973. Les séquelles sont là, bien visibles: des chars carbonisés, des coupures d'électricité, des pénuries, un cadavre d'adolescent tenant dans sa main une pierre – autant d'indices d'une région écorchée, et de la triste suite à venir.
Envoyé en mission humanitaire par la Croix-Rouge, Vivian Desarzens est chargé de rendre compte des conditions de vie dans les prisons de la région. Il y vient accompagné de sa femme, Piper, dont nous suivrons les moindres faits et gestes et tenues vestimentaires, entre soirées avec les autres expatriés au Beach Club, balades sur la plage, visites touristiques et emplettes au marché.
Un choix de personnage qui peut surprendre, puisque plutôt que de restituer frontalement ce que la région recèle d'histoire, de souffrances et de luttes, Anne-Sophie Subilia opte pour le point de vue d'une femme privilégiée qui se languit dans sa maison de fonction et qui recherche l'utilité de sa présence.
La femme du délégué n’a pas de mission spécifique. Elle accompagne. Elle n’a pas la responsabilité des opérations, ni l’adrénaline ni les fatigues. Elle n’a pas la satisfaction, la griserie, ni le brut contact du travail. Elle a le farniente si elle le souhaite. Est-ce agréable? Elle ne peut être fière qu’à travers l’autre qui lui raconte comment c’était dans les prisons et les rencontres compliquées.
Le point de vue de Piper
Pour Anne-Sophie Subilia, ce personnage de Piper était une évidence: "C'est elle qui me touche. Par ce rôle extrêmement compliqué et inconfortable, elle est aussi aux premières loges. Elle est d'une grande porosité par rapport à bien des choses qui vont se passer. (…) Intuitivement, elle va comprendre un certain nombre d'événements qui se passent et faire des liens entre eux", explique l'auteure à la RTS.
Et l'écrivaine de rajouter: "Je trouvais très important de donner une voix à ceux qui sont toujours là, qui sont dans l'ombre, dans l'embrasure d'une porte. Et je trouvais cette posture, presque de filtre, plus intéressante; avec des perceptions qui ne sont pas complètement justes, mais elle questionne." Un questionnement tout juste murmuré face au sable envahissant, qui n'est pas fait d'intellect ni de cours d'histoire, mais d'attachement, de sensations et d'intuition, et qui va, lentement, éveiller en Piper le "courage d'action" qui lui fait tant défaut.
Des rencontres essentielles
Ce sont d'ailleurs les rencontres qui vont pousser Piper à se départir de sa passivité: celle avec le vieux jardinier Hadj, qui redonne vie à son jardin et qui est sans nouvelles de son frère, incarcéré en un lieu inconnu. Celle avec la petite Naïma qui vit dans des baraques sur la plage, bientôt menacées d'être rasées. Celle avec un bébé laissé-pour-compte à l'hôpital, ou encore celle avec la psychiatre palestinienne, Mona, volontaire et engagée.
"Piper va être tout sauf indifférente à ces personnes, explique Anne-Sophie Subilia. Il y a des liens qui se mettent en place (…), des êtres qui vont lui faire la grâce d'une visite et d’une rencontre. Et cet attachement pousse à l'action, forcément."
J’avais à cœur d’entrer, par l’écriture, dans ce cheminement vers l’autre, et dans comment l’autre vient nous mobiliser.
Un cheminement vers l'autre qui se traduira aussi par l'apparition de tensions dans le couple: témoin discret du quotidien de son époux, Piper percevra bien vite les limites du travail humanitaire, qu'elle tentera elle-même de dépasser – à sa manière.
Charlotte Frossard
Anne-Sophie Subilia, "L’épouse", éditions Zoé. Le livre figure dans la sélection du prix Femina, du prix Femina des Lycéens et du prix Médicis 2022.
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