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La rentrée littéraire, un véritable défi pour les éditeurs suisses

La rentrée littéraire de janvier 2022 est surabondante. [rossosiena]
La rentrée littéraire chez les éditeurs suisses / Vertigo / 8 min. / le 4 octobre 2022
Face au déferlement de livres publiés en France, les éditeurs suisses sont parfois à la peine. Certains renoncent tout simplement à sortir des livres à l'automne. Premier bilan de cette rentrée littéraire 2022.

Elle se fait attendre toute l'année, à la fois prometteuse et véritable rouleau compresseur: la rentrée littéraire bat son plein depuis la fin de l'été et pose, à chaque fois, la même question cruciale: comment faire sa place en tant que maison d'édition suisse face aux livres sortis en France?

Cette année, près de 500 livres publiés chez nos voisins français ont déferlé sur l'ensemble de la francophonie. En Suisse romande, on présume qu'une soixantaine de livres ont paru à l'automne, mais ce n'est qu'une estimation: les chiffres précis et centralisés manquent dans notre pays, et leur absence fait l'objet de discussions en ce moment même chez les professionnels du milieu.

C'est un pari, la rentrée littéraire. Vous vous battez avec des maisons d'édition qui sont très bien équipées en termes de communication et de commercialisation. Tirer son épingle du jeu est très difficile.

Caroline Coutau, directrice Editions Zoé

Rude concurrence

Directeurs de maisons d'édition importantes en Suisse romande, Caroline Coutau et Michel Moret s'accordent sur la grande difficulté à faire sa place face aux géants français. "En France, on observe un phénomène de plus en plus flagrant: les ventes se concentrent de façon extraordinaire, terrible, sur quelques titres: Musso, Despentes, Amélie Nothomb... (...) Avant, c'était une dizaine de titres. Aujourd'hui, c'est deux ou trois.", observe Caroline Coutau, directrice des Editions Zoé.

Les Editions Zoé ont publié trois nouveaux romans lors de cette rentrée, dont deux figurent dans les premières sélections de divers prix littéraires. La rentrée semble donc réussie pour la maison genevoise, mais tout n'est pas gagné pour autant: "Nous avons une bonne visibilité au niveau de la presse, des coups de coeur des libraires, mais ça ne veut pas encore dire des ventes", nuance Caroline Coutau.

Les ventes dépendent en effet de la visibilité des éditeurs, de la façon dont ils "pitchent" leurs ouvrages mais aussi, et surtout, des libraires qui recommanderont certains livres, au détriment d'autres. "Il faut qu'ils lisent les livres qu'on fait, mais ils en reçoivent des milliers. Donc comment faire pour que ce soit le vôtre qu'ils décident d'ouvrir?" questionne Caroline Coutau.

Différences franco-suisses

Directeur des Editions de l'Aire depuis 44 ans, Michel Moret, quant à lui, se dit volontiers hors circuit et pas du tout intéressé par les prix. "On fait de son mieux, l'enthousiasme est intact, résume l'éditeur. Il est vrai que parfois il y a de petites déceptions. Il y a aussi des différences de goûts: on refuse des fois des textes qui sont publiés à Paris avec succès, et l'inverse existe aussi."

Selon Michel Moret, cette rivalité de l'édition française et suisse tient aussi à des différences plus profondes. "On n'a pas la même histoire, le même imaginaire et ça ressort par moments. (...) La littérature française contemporaine m'inspire un peu moins, ou est peu inspirante. Elle est un peu tributaire du marché et il y a une espèce de 'bien écrire' à la parisienne. Tandis que se faire éditer en Suisse romande, c'est bénéficier d'une grande liberté dans l'expression."

Facteurs de réussite

Pour se démarquer en tant qu'éditeur suisse, plusieurs facteurs semblent tout de même importants, selon Caroline Coutau. Les premiers romans plaisent à la presse et la participation active de l’auteur à la promotion est déterminante. Il en va de même pour la prospection des éditeurs: pendant que nous lisons nos livres de la rentrée, les éditions présentent déjà les titres du printemps aux professionnels et libraires, et préparent les textes de septembre 2023.

Enfin, publier en France permet une plus grande visibilité d'emblée. On pense bien sûr à la Valaisanne Sarah Jollien-Fardel, publiée chez Sabine Wespieser. Son premier roman, "Sa préférée", n'a pas été retenu dans la deuxième sélection du prix Goncourt. Mais plus de 5500 exemplaires ont déjà été écoulés rien sur sol helvétique – une réussite, quand on sait qu'un best-seller en Suisse est un livre vendu à 1000 exemplaires.

Charlotte Frossard

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