L'écrivaine de 82 ans est récompensée pour "le courage et l'acuité clinique avec laquelle elle découvre les racines, les éloignements et les contraintes collectives de la mémoire personnelle", a expliqué le jury Nobel qui n'était pas encore parvenu à joindre Annie Ernaux par téléphone pour lui annoncer la nouvelle.
Peu après, la Française a déclaré à la télévision suédoise que c'était un "très grand honneur" mais aussi "une grande responsabilité" qui lui est donnée afin de témoigner pour la "justesse et la justice". Elle devient la 17e femme à décrocher le Nobel de littérature, et le 16e lauréat français depuis la fondation des célèbres récompenses en 1901.
Par le biais d'une oeuvre essentiellement autobiographique, Annie Ernaux a produit une remarquable radiographie de l'intimité d'une femme qui a évolué au gré des bouleversements de la société française depuis l'après-guerre.
Une vingtaine de récits
Cette professeure de littérature à l'université de Cergy-Pontoise a écrit une vingtaine de récits dans lesquels elle dissèque le poids de la domination de classes et la passion amoureuse, deux thèmes ayant marqué son itinéraire de femme déchirée par ses origines populaires.
Parmi ceux-ci figurent notamment "Des armoires vides" (1974), "la Place" (1982) ou "Les années" (2008) ou plus récemment "Mémoire de filles" (2018). Son dernier livre, "Le jeune homme", est paru début mai chez Gallimard, son éditeur de toujours.
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"Dans son oeuvre, elle explore constamment l'expérience d'une vie marquée par de grandes disparités en matière de genre, de langue et de classe", a souligné l'académicien Anders Olsson.
Son style clinique, dénué de tout lyrisme fait l'objet de nombreuses thèses. Par ce biais, elle convoque l'universel dans le récit singulier de son existence. Abandonnant très rapidement le roman, elle renouvelle le récit de filiation et invente l'"autobiographie impersonnelle".
Plus de 200 candidats
Le prix Nobel de littérature est considéré comme la distinction littéraire la plus prestigieuse au monde. Cette année, 233 candidats figuraient sur la liste longue du prix - les noms qui en font partie sont tenus strictement secrets chaque année.
L'année dernière, le prix Nobel de littérature avait été décerné à l'écrivain tanzanien Abdulrazak Gurnah, jusqu'alors relativement inconnu. L'année précédente, la poétesse américaine Louise Glück avait reçu cette distinction: elle non plus n'était pas considérée au préalable comme l'une des nombreuses favorites.
ats/afp/olhor
De Macron à Edouard Louis, les réactions affluent
Après l'annonce du prix Nobel de Littérature 2022, décerné à Annie Ernaux (lire ci-dessus), politiques et artistes ont réagi sur les réseaux sociaux.
- L'écrivain Edouard Louis a posté sur Instagram une photo en compagnie de la lauréate: "Bravo Annie, quel grand jour pour la littérature de combat."
- Emmanuel Macron, président de la République, sur Twitter: "Annie Ernaux écrit, depuis 50 ans, le roman de la mémoire collective et intime de notre pays. Sa voix est celle de la liberté des femmes et des oubliés du siècle. Elle rejoint par ce sacre le grand cercle de Nobel de notre littérature française."
- Rima Abdul Malak, ministre de la Culture, sur Twitter: "C'est le couronnement d'une oeuvre intime et "porteuse de la vie des autres". D'une écriture ciselée et dense qui a révolutionné la littérature. Mais aussi d'une vie de courage et de liberté, source infinie d'inspiration."
- Nicolas Mathieu, écrivain et prix Goncourt 2018, a partagé un souvenir sur Instagram: "De ma vie, je n'ai fait dédicacer qu'un seul livre. C'était à Nancy et j'étais alors beaucoup plus jeune, plus mince, et plus pauvre aussi. Ce soir-là, pour voir Annie Ernaux, j'étais venu comme à l'office, portant une chemise propre et mes souliers cirés. Et avec sous le bras mon premier roman pour le lui offrir" avec un petit mot et cette dernière phrase 'Vous l'aurez compris, je vous aime'."
- Gallimard, sur Twitter: "Nous avons l'immense joie d'apprendre que le #prixNobel de littérature 2022 couronne l'oeuvre d'#AnnieErnaux 'pour le courage et l'acuité clinique avec lesquels elle découvre les racines, les éloignements et les contraintes collectives de la mémoire personnelle'."
Près d'un million d'exemplaires commandés
Depuis l'annonce du Nobel de littérature le 6 octobre, les livres d'Annie Ernaux se vendent comme des petits pains dans les librairies françaises. Il y a rupture de stock. Les éditions Gallimard ont décidé de lancer une large réimpression de ses ouvrages: "900'000 exemplaires répartis pour 85 % en poche chez Folio et 15 % en grand format dans nos collections Blanche, Imaginaire et Quarto", précise l'éditeur. Un chiffre fou.
Par comparaison, le poète suédois Tomas Tranströmer, Nobel 2011, en vendait moins d’une centaine par semaine avant de connaître un pic à 3'900 exemplaires la semaine qui a suivi l’annonce du prix. Patrick Modiano, autrement plus connu, a bénéficié lui de 350 000 réimpressions seulement selon Edistat. Il y a donc un véritable effet Ernaux.