Christian Bobin n'a toujours ni internet ni téléphone "intelligent". Il sort rarement de chez lui, au Creusot, petite ville déshéritée du centre de la France; aussi ses amis suisses sont venus en nombre à Crans-Montana à la fin de cet été, pour une rencontre publique où, à son habitude, l'écrivain attirait l'attention sur quelques-uns de ses coups de cœur de lecteur impénitent – en l'occurrence, des poétesses russes. L'invitation venait de l'Association Montagn’arts, qui publiera bientôt l'enregistrement vidéo de cette rencontre.
La veille de la conférence, il accordait à QWERTZ un entretien, où en souvenir de dix ans de chroniques sur Espace 2 (2006-2016), il parle musique, récite Inna Sokolova, et surtout raconte la longue mise en œuvre du "Muguet rouge", son souci de la forme de ce petit ouvrage dune huitantaine de pages, qui s'ouvre et se referme sur deux transcriptions de rêves.
Poésie, hallucinations et légèreté
L'enchaînement des réflexions, des images, suit un cours naturel dans la ligne des livres précédents du poète prosateur. Avec des piques un peu plus véhémentes contre un monde machiniste déshumanisé, Titanic qui ne voit pas son pont s'incliner de plus en plus vers le bas. En guise de réconfort, l'irréductibilité de la nature et des êtres aimés, et le diamant de la poésie: Christian Bobin renouvelle son admiration reconnaissante à Novalis, Nerval, Pascal, Akhmatova, tant d’autres, et aux musicien(ne)s, Jacqueline Du Pré ou Samson François.
Le pavé parisien a la dureté d'un dogme. Un éclair d'insensibilité monte des chaussures au cœur. Les rues sont les écailles d'une tortue géante. Elle mâche le nom des morts illustres et respire une fois tous les mille ans. (…) Le métro à Bastille avale un peu d'air puis replonge en apnée dans l'obscur. Coagulés, nous sommes les bactéries du serpent métallique, les âmes mal digérées par ses entrailles.
La légèreté ne manque pas pour autant, avec de drôles d'hallucinations: "Je voudrais être enterré dans une bouteille de whisky pour y maturer, et qu'on y ajoute une queue de lézard pour donner du goût". On sourit aussi au titre de la publication simultanée chez Lettres Vives, "Les poètes sont des monstres", ou à ce trait d'auto-dérision dans "Le muguet rouge": "On a toujours l’air idiot quand on parle de fleurs"… vite battu en brèche par une démonstration en règle des vertus du muguet et de toutes ses sœurs.
David Meichtry/ld
Christian Bobin, "Le muguet rouge", ed. Gallimard, 88 p.
Également disponible ce 6 octobre: "Les différentes régions du cie", œuvres choisies, coll. Quarto, Gallimard, 1024 p.
"Les poètes sont des monstres", ed. Lettres Vives, 64 p.
Vous aimez lire? Abonnez-vous à QWERTZ et recevez chaque vendredi cette newsletter consacrée à l'actualité du livre préparée par RTS Culture.