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L’enfance de l’amour vue par Clara Benador

L'autrice Clara Benador.
Entretien avec Clara Benador, autrice de "Les petites amoureuses" / QWERTZ / 23 min. / le 12 octobre 2022
A seulement 24 ans, mais forte d’un long CV long, la mannequin, musicienne et actrice genevoise Clara Benador choisit la découverte de la sensualité et le Casablanca des années 1940 pour "Les petites amoureuses", son premier roman.

Dans une France tout juste occupée, la famille Leopold est contrainte à l’exil; le voyage en voiture, puis à bord d’un cargo houilleux débarque Lola, 12 ans, ses parents et ses deux petits frères jumeaux - les Zazzos - à Casablanca, là où tout peut recommencer.

Mais pour l’adolescente, c’est une autre trajectoire qui se dessine, lorsque sa route croise celle de la gémellaire Shéhérazade, jeune prostituée du quartier de Bousbir, avec qui Lola va nouer une relation intense qui la fera sortir brutalement de l’enfance. Cette double histoire de l’exil et de la genèse du frisson amoureux a été inspirée à Clara Benador par sa grand-mère qui, comme Lola, a vécu à Casablanca entre ses douze et ses quinze ans.

J’essayais de comparer son histoire avec mes sentiments à moi, de jeune fille de la liberté, si je peux dire ainsi. Et je me trouvais bien triste par rapport à elle qui est si gaie et souriante.

Clara Benador

Machine sourde et tempête

Naissent alors une foule de questions, en particulier sur la douleur de l’exil. Des questions qui deviennent les mots des "Petites amoureuses" et qui vont former une écriture du ressenti, du sensoriel; la moiteur du cargo, la fournaise de sa chaudière, les lumières de l’Afrique du nord, le fouet d’une tempête de sable, les rires murmurés des prostituées et les lourdeurs opiacées seules capables de faire oublier le cortège des clients permettent au fil narratif de se poser mollement.

Pour Clara Benador, le point de départ était de "retranscrire le souvenir, quelque chose qui me hantait, comme si j’avais envie de raconter une jeune fille que je n’avais pas connue et qui faisait un peu partie de moi. Je sentais que je portais une certaine mélancolie que je n’arrivais pas à expliquer." Et comme parfois avec les rêves, le réveil est brutal.

Loin de la guerre, l’autre guerre

La couverture du livre "Les petites amoureuses" de Clara Benador. [Editions Gallimard]
La couverture du livre "Les petites amoureuses" de Clara Benador. [Editions Gallimard]

Car "Les petites amoureuses", c’est avant tout une histoire de guerres; celle qu’a dû fuir Lola, et celle, invisible, de ces jeunes femmes marocaines contraintes à la prostitution, souvent dès l’âge de 13 ans. Bousbir, idéal décor de ce récit du passage à l’âge adulte, fait s’affronter le fantasme d’un lieu romanesque et magique et la dure réalité de la colonisation.

La construction du quartier est ordonnée alors que Casablanca se mue en ville moderne au début du XXe siècle. Regrouper les prostituées dans cette nouvelle enceinte permet à la fois de contrôler leur activité, mais aussi de contenir les épidémies de syphilis. Véritable red light district en carton-pâte aux allures de production hollywoodienne, Bousbir devient une zone où la prostitution glisse vers l’attraction touristique pour toute la famille.

Mais derrière les sourires et les danses, la réalité est tout autre; les filles sont usées à 20 ans, elles sont vieilles femmes à 30. Souvent dépendantes à l’opium et mal soignées, beaucoup meurent dans une misère et une indifférence intolérables.

Effet miroir

Dernière guerre, celle de l’intime, que vit Lola, en secret, entre son amour pour son alter ego Shéhérazade, et l’impossibilité de s’en ouvrir à ses parents, placés du "bon côté" de la colonisation. Shéhérazade, c’est la princesse, mais Lola, avec ses jambes trop longues, est l’héroïne de sa propre vie. Un dilemme qui se soldera forcément par une déchirure, puisque l’histoire de la grand-mère est arrivée de vive voix jusqu’à la petite-fille, qui l’a pétrie ensuite en ce premier roman enthousiasmant.

"Quand j’ai lu à ma grand-mère la scène de fin, dans laquelle intervient Charles de Gaulle et qui m’a été inspirée par une photo où l’on voit ma grand-mère tendre un bouquet au Général, raconte Clara Benador, elle m’a répondu: 'Comment tu savais?'". Clara Benador ne savait pas; elle l’a ressenti.

Ellen Ichters/aq

Clara Benador, "Les petites amoureuses", ed. Gallimard.

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