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Alice Zeniter revendique pour les femmes une place au pays de la fiction

L'écrivaine Alice Zeniter. [Flammarion - Astrid di Crollalanza]
L’invitée - Alice Zeniter, autrice de "Toute une moitié du monde" / L'invité du 12h30 / 8 min. / le 17 octobre 2022
A quelle héroïne romanesque s'identifier en tant que lectrice lorsque les personnages féminins ne sont que des faire-valoir d'hommes puissants? Avec "Toute une moitié du monde", Alice Zeniter livre une réflexion érudite sur notre rapport à la fiction.

Pendant la période du premier confinement en France, Alice Zeniter vit un basculement dans son lien avec la fiction. A cette époque, le monde imaginaire des romans ou des films lui semble très éloigné de sa propre réalité. "Ces fictions-là s'appuyaient toutes sur le fait qu'un héros, ou beaucoup plus rarement une héroïne, avait les capacités de renverser le cours d'une action pour atteindre une résolution et une fin de l'histoire. Alors que là, on était en train de patauger face à cette pandémie et il se passait le contraire", détaille la romancière à la RTS.

Dans la réalité, personne n'a le pouvoir de nous arracher à notre époque contemporaine troublée. "Il n'y a pas de grand héros d'action qui pourra botter le cul au réchauffement climatique, il n'y a pas moyen de régler à une seule personne les déplacements de population provoqués par les crises politiques ou climatiques, etc... Donc on a besoin d'apprendre à raconter des histoires autrement, qui passent par le collectif et qui s'inscrivent dans des temps plus incertains", constate l'auteure de "L'art de perdre", roman couronné du Prix Goncourt des lycéens en 2017.

Les femmes tenues à l'écart

Raconter des histoire autrement pourrait débuter par une ouverture au monde fictionnel à "Toute une moitié du monde", ainsi que se nomme le nouvel ouvrage de la romancière. Car les femmes ont longtemps été tenues à l'écart des grandes épopées romanesques. Pendant toute sa jeunesse, Alice Zeniter a d'ailleurs été un homme dans sa vie de lectrice. "Je lisais pour m'arracher à mon sentiment d'impuissance, à ma chambre, à ma campagne loin de tout, au fait d'être dépendante des autorisations des parents ou des professeurs."

Je me projetais dans les existences puissantes et les existences puissantes au pays de la fiction, c'était les hommes.

Alice Zeniter, auteure de "Toute une moitié du monde", éd. Flammarion

Les personnages féminins existent pourtant, mais sont souvent au second plan. "Ces femmes ne sont jamais le point de vue narratif, elles vont être l'objet des regards, du désir, mais elles ne sont pas celles par qui le récit arrive. (...) J'imagine que si on m'avait offert par la fiction mille manières d'être femme, j'aurais grandi autrement. Les mille femmes que j'aurais pu être sont à jamais inatteignables. Et c'est quelque chose qui me rend triste et furieuse."

Creuser les inégalités

Pour elle, l'absence durable de personnages féminins importants dans la fiction a contribué à creuser les inégalités entre les femmes et les hommes. "Cela donne l'impression que la fiction démultiplie un système de valeurs selon lequel les existences des femmes sont moins intéressantes que les existences des hommes. Puisqu'elle ne sont pas racontées, on se dit qu'elles ne sont pas racontables. (...) On fait perdurer un fossé qui existe entre les hommes et les femmes en ne rendant pas accessible par la fiction une moitié du monde", constate-t-elle.

Et si l'attribution du Nobel de littérature à l'auteure française Annie Ernaux constitue un signe d'encouragement vers la reconnaissance des femmes, il convient de rester vigilant. "Il faut éviter de se dire que la situation est réglée. Ça ne peut pas être l'arbre qui cache la forêt", conclut Alice Zeniter.

Propos recueillis par Pauline Rappaz

Adaptation web: Melissa Härtel

Alice Zeniter, "Toute une moitié du monde", éditions Flammarion.

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