Paul Nizon, écrivain, est né à Berne en 1929. Très jeune, il devient responsable de la critique d’art auprès de la prestigieuse Neue Zürcher Zeitung. Mais sitôt arrivé à ce poste envié, il le quitte et part à Paris. Il y devient un écrivain reconnu, essentiellement autofictionnel et diariste. C’est à ce titre qu’il gagne au fil des décennies un crédit suffisant pour entrer dans le Larousse qui, dans une notice évidemment très synthétique, mais sonnant juste, qualifie sa prose de "sensuelle et raffinée".
Tout parisien qu’il est devenu, Paul Nizon, 92 ans, reste un écrivain de langue allemande. Son œuvre proprement littéraire est intégralement traduite chez Actes Sud: quelque vingt-cinq livres parus en français. Lui-même n’a jamais considéré ses écrits sur l’art comme faisant partie de son œuvre.
Des textes brefs réédités
Pourtant, Actes Sud sort un nouvel ouvrage de Paul Nizon, "Le regard ramassé. Une anthologie de l’art moderne". Une petite cinquantaine de textes brefs, quatre, cinq, six pages, articles de journaux, notices de catalogues, extraits de monographies. On y croise les classiques modernes, quelques précurseurs: Goya (une synthèse ramassée d’une œuvre monumentale), Picasso (une note sur une peinture unique), Soulages, Pollock, Van Gogh (un texte beaucoup plus long, trente pages, pour ce peintre qui a eu une importance particulière dans la vie de Nizon), et des dizaines d’autres, souvent rencontrés dans leurs ateliers, comme Giacometti ou Dürrenmatt.
Ma force était dans la langue – de rendre vif ce que je voyais.
En un sens, on peut faire entrer ces textes dans le genre du journal. Car l’écriture de Nizon trouve des voies lumineuses pour évoquer les œuvres - un exercice qu’il réussit tout particulièrement face aux œuvres abstraites, à travers ce qu’il voit, mais aussi ce qu’elles produisent en lui. Une évocation d’œuvres, donc, mais aussi une documentation de soi, à travers les sensations traversées. Nizon met d’ailleurs souvent les œuvres en lien avec la vie des artistes – les tableaux comme documentation de soi par l’artiste.
Le visiteur au coeur de l'atelier
Un texte exemplaire à cet égard: une visite de l’atelier d’Egbert Moehsnang (il n’y a pas que des monstres sacrés dans cette anthologie). Nizon parle de lui-même à la troisième personne dans ce texte: il est "le visiteur", entre mouvements d’âme sombres et borborygmiques montant des toiles, relevé subtil de ce que dégage Moehsnang lui-même, et évocation d’un lieu amical, rassurant, entre outils et odeur de peinture, comme le ventre d’un bateau, tandis que dehors la pluie tambourine. Un tel texte illustre bien ce que peut Nizon dans l’écriture sur l’art, avec ses moyens littéraires. Et témoigne aussi qu’il s’est simplement senti bien dans ces ateliers d’artistes.
L’auteur n’a pas choisi ces textes. Ce sont les éditeurs Pino Dietiker et Konrad Tobler qui ont pris l’initiative et la direction de cet ouvrage. Ils ont étonné Paul Nizon en lui apprenant qu’il avait un catalogue aussi important dans le domaine des écrits sur l’art que dans le reste de son œuvre. Le choix présenté étonne aussi le lecteur sur un autre point: sur quarante-sept notices, on ne rencontre pas une seule femme. De quoi rester perplexe - et au micro, Paul Nizon s’étonne à son tour.
L’auteur, enfin, étonne le journaliste en lui apprenant qu’il n’a pas relu ces textes. Il n’a donc pas grand-chose à en dire. Ce sont d’anciens souvenirs, très vagues. Mais ce qu’il en retient, c’est que jeune homme, il était enfermé en lui-même, et qu’il a pu se libérer de son solipsisme et sortir de lui-même avec son regard, en le plongeant dans les œuvres - en dehors de lui. Et que c’est en les évoquant qu’il est devenu écrivain.
Francesco Biamonte/mh
Paul Nizon, "Le regard ramassé. Une anthologie de l’art moderne", éditions Actes Sud.
Vous aimez lire? Abonnez-vous à QWERTZ et recevez chaque vendredi cette newsletter consacrée à l'actualité du livre préparée par RTS Culture.