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Mathieu Sapin replonge en enfance avec "Pas de baiser pour maman"

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Entretien avec Mathieu Sapin, auteur de "Pas de baiser pour maman" / QWERTZ / 26 min. / le 17 novembre 2022
L'auteur de "Supermurgeman", "Gérard, cinq années dans les pattes de Depardieu" et des reportages dessinés sur les coulisses de la politique françaises renoue avec ses souvenirs. Dans "Pas de baiser pour maman", Mathieu Sapin adapte en bande dessinée l'œuvre écrite de Tomi Ungerer.

Disparu en 2019, Ungerer était un immense illustrateur. On se souvient de ses affiches contre la guerre du Vietnam ou pour le Montreux Jazz Festival (déjà un chat!), mais aussi de ses récits pour enfants, parmi lesquels "Les trois brigands" et "Jean de la Lune" font figure de classiques.

"Pas de baiser pour maman" raconte une journée de Jo Chattemite, un jeune chat anthropomorphique. Il n'aime pas se lever, se laver. Il déteste l'école et surtout, oui surtout, il n'en peut plus des baisers de sa maman. Il n'en veut plus. Un point c'est tout.

Publié une première fois en 1974 aux Etats-Unis, ce livre illustré avait reçu le titre de "pire livre pour enfant" publié cette année-là. Aujourd'hui culte et reconsidéré, "Pas de baiser pour maman" fait l'objet d'une adaptation en bande dessinée par Mathieu Sapin.

"Pas de baiser pour maman", c'était un petit format, essentiellement du texte que ma mère me lisait quand j'étais petit. Ça m'intriguait beaucoup, parce que le titre, provocateur, était en contradiction avec ce qu'une maman pouvait lire à son enfant.

Mathieu Sapin

Un jeune chat qui fait la tronche

Il fallait bien qu'ils se rencontrent un jour. Sapin et Ungerer, tous deux formés à la même école - les Arts Décoratifs de Strasbourg -, partagent une même origine alsacienne, et cette facilité à passer d'un genre à l'autre, alternant entre livres pour enfants, reportages BD, romans graphiques. "Pas de baiser pour maman", c'était un petit format, essentiellement du texte que ma mère me lisait quand j'étais petit. Ça m'intriguait beaucoup, parce que le titre, provocateur, était en contradiction avec ce qu'une maman pouvait lire à son enfant. Et puis la couverture, avec ce jeune chat qui fait la tronche, tout de suite on comprenait qu'on n'était pas dans un livre pour enfant habituel".

Et pour cause, Tomi Ungerer écrit l'histoire de Jo en réaction à un livre de son ami Maurice Sendak. L'auteur de "Max et les Maximonstres" publie l'année précédente un livre dont Tomi Ungerer trouvait le titre particulièrement niais: "Un baiser pour petit ours". "Ungerer et Sendak étaient amis et se taquinaient. Moi ce qui me plaisait beaucoup chez Ungerer, c'est cette manière de ne pas prendre les enfants pour des imbéciles. Cette façon d'être taquin, mordant, il y a un sous-texte grinçant dans ses histoires, ce n'est jamais niais. Et je pense que les enfants le perçoivent".

Tomi Ungerer vit alors aux Etats-Unis, où il passera l'essentiel de sa carrière, publiant directement en langue anglaise. Pourtant, l'accueil réservé à "No Kiss For Mother", son titre original, sera tellement mauvais qu'il poussera le Strasbourgeois à quitter le continent américain pour s'établir en Irlande, pays d'origine de sa femme.

Moi ce qui me plaisait beaucoup chez Ungerer, c'est cette manière de ne pas prendre les enfants pour des imbéciles.

Mathieu Sapin

"Retrouver les sensations de l'enfance"

Mathieu Sapin a pu voir les dessins originaux de Ungerer, conservés à Strasbourg. "Ils sont anciens et fragiles, faits au crayon sur du calque, c'est très émouvant de les voir. J'ai eu cette chance et je m'en suis inspiré pour mon graphisme, réalisé à l'ordinateur, c'est moins fastidieux!" Une chance également de revisiter un classique adoré, "de retrouver les sensations de l'enfance. J'avais l'impression d'être dans mes souvenirs. De m'y perdre". Et puis il faut parler de la ville dessinée, entre New York et Strasbourg, une sorte de "New-Strasbourg, avec des taxis new-yorkais, des architectures typiquement alsaciennes. Par exemple, l'école de Jo, dans ma BD, c'est l'Ecole des Arts Décoratifs où j'ai fait ma formation de dessinateur".

Alors même qu'il n'a jamais réalisé de bande dessinée, Tomi Ungerer tient une place à part dans le cœur de nombreux dessinateurs. Mathieu Sapin en est convaincu: "Il a influencé beaucoup de dessinateurs, Joan Sfar par exemple, qui a une théorie selon laquelle les bandes dessinées avec des chats en couverture sont une garantie de succès! Pourtant il n'y a jamais d'exposition Ungerer dans le cadre d'un festival de bande dessinée".

Autre point commun avec Mathieu Sapin, l'humour d'Ungerer. Trash et subversif, "Pas de baiser pour maman" propose du schnaps au petit-déjeuner, des tripes de taupe et du pâté de souris. De quoi dégoûter en effet un jury américain, mais pas l'auteur de "Supermurgeman", dont le héros vomit sur ses adversaires pour les neutraliser.

Pierre Philippe Cadert/ld

Mathieu Sapin, "Pas de baiser pour maman", ed. Rue de Sèvres.

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