"Cendrillon", "Peau d’âne", "La petite fille aux allumettes", "Les mille et une nuits", "Le petit chaperon rouge": nous rangeons sans aucune difficulté ces récits dans la catégorie du conte, à savoir un récit court constitué de faits imaginaires. Pour Brigit Bontour, si cette définition vaut jusqu’au Moyen Age, elle s’élargit et prend ses aises dès le XVIIe siècle pour embrasser d’autres formats, nouvelle, poème, roman ou fable.
Extrait de conte
Ainsi, dans son "Goût des contes", ouvrage dont la taille est inversement proportionnelle à la richesse de son contenu, l’autrice a recensé une trentaine de récits sous forme d’extraits pour la plupart, qui vont de Cendrillon, dont les premières versions remontent à la Chine du IXe siècle, jusqu’à Guy de Maupassant ("Le Horla"), Marguerite Yourcenar ("Conte bleu"), Boris Vian ("Drencula") et même Anne Serre ("Petite table, sois mise!"), dans une sélection qui redessine les contours d’un genre qu’on attribue à tort à l’enfance.
Le grand intérêt du conte, c’est qu’il est universel. Il reprend le problème de l’inceste dans "Peau d’âne", celui des enfants maltraités par leur marâtre dans "Cendrillon", abandonnés dans le "Petit poucet"… des thématiques intemporelles qui ont traversé les sociétés.
Bien que l’origine du conte se perde dans la nuit de l’humanité, Brigit Bontour prend comme point de départ le Quattrocento italien (XVe siècle) qui voit cet art passer de l’oralité à l’écrit avec le "Decameron" de Boccace, mais aussi "Le conte des contes" de Gianbattista Basile, chez qui l’on trouve une version de Peau d’âne avec un ours, ou les "Facétieuses nuits" de Francesco Straparola, où l’on s’amuse de la ruse d’une chatte (pas encore bottée) faisant la fortune de son maître. L’omniprésence des animaux, utiles pour masquer la critique chez La Fontaine, laisse dès le XVIIIe un peu plus d’espace à la subversion de l’érotisme (Voltaire, Crébillon, Baudelaire), aux dures réalités sociales (Andersen) puis au fantastique (Flaubert, Gautier).
De poils et de sang
Très loin du traitement qu’ont pu en faire les studios Disney, le conte reste un univers fait de sang, de poils et de sexe. Au début du XXe siècle, le psychanalyste Bruno Bettelheim est le premier à décrypter la symbolique du conte: dans "Cendrillon", où les méchantes sœurs n’hésitent pas à se mutiler pour entrer dans la pantoufle de vair (et non de verre), il voit une claire métaphore du vagin. Dans l’histoire du "Petit chaperon rouge", c’est l’apparition chez les jeunes femmes de la pilosité et des premières règles, signes du passage à l’âge adulte et donc, à la maturité sexuelle.
Des références à peine déguisées, qui seront assumées dans le conte érotique du XXe siècle, à l’instar du très pornographique "Drencula", merveilleuse revisitation poilue et mouillée du "Dracula" de Bram Stocker, signé Bison Ravi, autrement dit Boris Vian. "On a rarement eu un tel niveau de crudité en littérature, confie Brigit Bontour, c’est un texte qui a été publié sous le manteau et qui n’est paru publiquement que dans les années 1980." Boris Vian échappera pour cette fois à la condamnation, ce qui ne sera pas le cas de Régine Desforges, condamnée et censurée dans la France conservatrice des années 1960 et 1970 pour ses "Contes pervers".
Après tout, le goût des contes n’est-il pas aussi celui du fantasme et de la subversion?
Ellen Ichters/mh
"Le goût des contes", Collectif, ed. Mercure de France.
Vous aimez lire? Abonnez-vous à QWERTZ et recevez chaque vendredi cette newsletter consacrée à l'actualité du livre préparée par RTS Culture.