En juin 1997 sortait un certain "Harry Potter à l'école des sorciers", un roman tiré à seulement 500 exemplaires d'une auteure alors inconnue, J.K.Rowling. Le succès est rapide et il est traduit en français un an plus tard. Suivent "Harry Potter et la chambre des secrets" et cinq autres aventures au succès grandissant, peu à peu diffusées en 80 langues. Les sept livres se sont écoulés à ce jour à plus de 500 millions d'exemplaires à travers 200 pays.
Quatre ans après le premier livre sort le premier film: le public est immédiatement au rendez-vous. Au final, huit films ont fait exploser les box-offices mondiaux, générant 7,7 milliards de recettes, dont 1,34 milliard pour le seul dernier long-métrage, la deuxième partie des "Reliques de la mort".
Les années ont passé, mais 25 ans après la sortie du premier livre et 20 ans après le succès du premier film, la ferveur ne semble pas près de s'arrêter. De nombreux anniversaires de la tranche 9-11 ans font toujours la part belle à Harry Potter. Et les ventes d'assiettes, verres, bonbons et autres accessoires à l'effigie du sorcier à lunettes se multiplient.
A l'approche de Noël, les ventes des livres et des films repartent à la hausse et les produits dérivés remplissent toujours plus les présentoirs, avec chaque année des nouveautés destinées à conserver la magie intacte. "Rien que le nom Harry Potter active les ventes", explique à RTSinfo Anna Morier-Genoud, libraire chez Payot à Lausanne. Celle-ci précise que les ventes de livres ne se tassent pas malgré les années, avec même un regain pendant le confinement et après. "Et nous réservons toujours une belle place à Harry Potter à Noël, car nous savons que c'est une valeur sûre."
Un imaginaire mystérieux qui attire
Mais pourquoi une telle ferveur? "Ce monde est complexe et très souvent insaisissable. Bien que nous nous soyons tournés vers la science, je pense que nous avons tous gardé au fond du coeur un certain attrait pour le magique", expliquait J.K.Rowling dans le documentaire "Harry Potter: aux origines de la magie", sorti en 2019. Et c'est là l'une des raisons souvent avancées pour expliquer ce triomphe ininterrompu en 25 ans: pour sortir d'un quotidien monotone, rien de tel qu'un peu de magie, de rêve, de surnaturel. En d'autres mots, on cherche à quitter le monde peu avenant des "moldus" pour entrer dans l'imaginaire mystérieux des sorciers.
De multiples autres facteurs sont avancés par les spécialistes et en premier lieu le fait que cette saga parle à tout le monde, enfants, adolescents et adultes, quel que soit le sexe. La narration est rythmée et forte en rebondissements, facile à suivre pour les petits sans être ennuyeuse pour les plus grands.
Et J.K.Rowling a su nourrir son histoire en distillant dans son chaudron littéraire une foule d'ingrédients à succès: une école à l'atmosphère irréelle, des objets magiques (cape d'invisibilité, carte du maraudeur, vif d'or...), des animaux fantastiques, des cours incongrus dispensés par des professeurs farfelus, des gentils et des méchants, des personnages ambigus et un super méchant, la mort de personnages de premier plan. Mais aussi et surtout une histoire d'amitié entre trois enfants aux caractéristiques diverses, auxquels chacun peut s'identifier plus ou moins.
D'année scolaire en année scolaire, les héros grandissent avec leurs lecteurs et lectrices au sein d'une histoire qui évolue d'un gentil conte pour enfants à des affrontements plus sombres. Devenus adultes, les fans de la première heure lisent à leurs enfants ces histoires qu'ils ont aimées et le cycle repart pour un tour, entre nostalgie et immersion dans un monde familier. "Harry Potter, c'est tout un univers qui ne s'arrête pas aux livres. On a une communauté Harry Potter, des ados passionnés qui savent tout sur tout viennent avec leurs écharpes et leurs accessoires, car ils collectionnent les différentes éditions des livres", explique Anne Morier-Genoud.
Un coup de pied dans la littérature jeunesse
Harry Potter a ainsi dynamité la littérature jeunesse, qui peinait parfois à passer des livres un peu niais pour les petits aux romans plus compliqués pour les adultes. Et la saga a ouvert la voie du succès à une foule d'autres livres pour adolescents, à l'image de La Quête d'Ewilan ou Hunger Games, des titres qui n'ont toutefois jamais dépassé le maître.
Certes, depuis le dernier film "Harry Potter et les reliques de la mort, partie 2", les fans n'ont plus grand-chose à se mettre sous la dent, si ce n'est une pièce de théâtre racontant ce qui arrive à Harry, Ron et Hermione devenus adultes et une série dérivée, "Les Animaux fantastiques", qui n'a jamais eu la même aura.
D'aucuns rêvent aussi de longue date de voir le monde magique d'Harry jouer les phénix dans une nouvelle série dérivée, mais rien de concret n'a pour l'heure vu le jour. Le boss de la Warner, qui détient les droits de la saga avec son auteure, a toutefois fait frémir le milieu en annonçant récemment que sa société allait se recentrer sur ses franchises: "J'aimerais voir si on peut faire quelque chose avec J.K. sur l'avenir d'Harry Potter."
En attendant une éventuelle suite, la Warner mise sur une stratégie de communication et de marketing bien rodée pour perpétuer la magie de Poudlard, mais aussi pour rapporter beaucoup d'argent. Chaque année sont mis sur le marché de nouveaux produits les plus divers, des expériences dans le monde magique, des visites touristiques, des escape games ou des cours de sorcellerie. Il est même possible de pratiquer le Quidditch pour de vrai et de suivre des cours en ligne comme à Poudlard, ou presque...
Des parcs à thème ont en outre été ouverts pour recréer l'univers Harry Potter, notamment en Floride et au Japon. Des boutiques dédiées uniquement à ce monde fleurissent également un peu partout, alors que les sites internet rassemblent les fans en nombre. Et les studios londoniens présentant les décors de la saga voient se bousculer des milliers de visiteurs par jour encore actuellement. Au-delà des livres et des films, la marque HP est devenue une véritable manne touristique pour la capitale britannique.
Des produits dérivés sans cesse renouvelés
Le jeune sorcier et ses amis sont aussi à l'origine d'un nombre incalculable de produits dérivés qui déclenchent des élans de collectionnite insatiable chez les fans et qui se renouvellent sans cesse, à
commencer par les figurines des personnages et les baguettes magiques, mais aussi les vêtements, chapeaux, stylos, puzzles, jeux vidéos ou jeux classiques détournés (Cluedo, Dobble, Trivial Poursuite).
La grande distribution l'a bien compris et place ces produits bien en évidence, surtout au moment des cadeaux de fin d'année. "L'assortiment d'articles Harry Potter n'a jamais été aussi vaste que cette année (...) Pour la troisième année de suite, nous avons fait de Harry Potter un des thèmes principaux de notre rayon jouets et ce sera le cas jusqu'à Noël", confie Sandra Känzig, responsable communication chez Manor. Coop se dit aussi "très satisfait" de l'intérêt pour les produits HP, avec une demande "élevée et constante qui a encore légèrement augmenté ces dernières années".
Et cette stratégie d'élargissement de l'offre ne semble pas avoir de limites. Les librairies proposent maintenant des ouvrages de cuisine sur la nourriture à Poudlard, mais aussi un traité officiel des baguettes magiques ou encore le manuel pour devenir
le meilleur joueur de Quidditch. Les enfants hurlent aussi de rire en dégustant les friandises bien connues des fans, comme les chocogrenouilles ou surtout les dragées surprises de Bertie Crochue, des petits bonbons au goût de saucisse, de poussière ou de vomi.
"Le phénomène Harry Potter s’est beaucoup développé ces dernières années dans les produits dérivés", confirme Jacques Reinhard, directeur des ventes chez Franz Carl Weber. "Tous les grands fabricants qui possèdent des licences ont pour la plupart surfé sur la vague du succès HP."
C'est notamment le cas de la marque Lego, qui s'est associé de longue date à l'univers créé par J.K.Rowling et dont les jouets se vendent à prix d'or. Si la plupart peuvent être acquis pour 50 à 100 francs, il faut débourser plus de 500 francs pour le château de Poudlard ou le Poudlard Express. La marque HP représente ainsi 4% des ventes de Lego chez Franz Carl Weber et près de 2% du chiffre d'affaires total du groupe.
Sans donner de chiffres, Migros confirme également que si le marché est "très changeant" et dépend des années, les ventes sont en hausse. A l'approche de Noël, la chouette Hedwige en peluche et les Legos plus grands et plus chers ont la cote.
Madeleine de Proust
Ce printemps, le site britannique Money.co.uk s'est essayé à comparer le coût cumulé de divers produits dérivés, dont un coffret, une costume et une figurine, d'une quarantaine de sagas cinématographiques sur eBay pour déterminer quelle est celle qui voit les fans dépenser le plus. Et Harry Potter est arrivé en tête avec un total dépassant les 530 francs.
La stratégie de Warner fonctionne ainsi pour les grands fans, mais aussi pour les amateurs de tous ordres, qui dépensent certes un peu moins. "On essaie de plonger le consommateur dans son enfance avec des sortes de madeleine de Proust", résumait le professeur de marketing Alain De Crop récemment sur la RTBF. "C’est une technique pour le pousser à découvrir ou redécouvrir ses marques (...) Les consommateurs se rendent souvent compte qu’on les manipule et pourtant, ça marche. Parce que ça correspond sans doute à un besoin un peu régressif de replonger en enfance et de retrouver en quelque sorte le goût de l’insouciance."
La machine de communication-marketing des propriétaires de la marque Harry Potter semble donc porter ses fruits, faisant du sorcier un symbole transgénérationnel et un produit particulièrement lucratif. Et il semble bien que ce phénomène est parti pour durer, qu'on lira encore les aventures dans 20 ans, qu'on regardera encore les films dans plusieurs décennies et qu'on continuera longtemps à se vêtir d'une cape de sorcier tout en dégustant quelques dragées au parfum ver de terre.
Frédéric Boillat