Cette voix de saxophone alto ou de clarinette basse qui vous soulève de vos certitudes, cette flûte qui fait basculer et soutient le discours improvisé, ce sont les voix multiples d’Eric Dolphy. Encore fallait-il nous inviter par les mots à nous y (re)plonger par les notes. "Eric Dolphy" de Guillaume Belhomme vient d’être réédité aux éditions Lenka Lente. L’auteur réussit le pari de nous emmener sur les pas du musicien afro-américain par les éléments essentiels: rencontres, dialogues, convictions artistiques, savoir-faire solide.
La seule drogue à laquelle il s’adonnait était quelques cuillères à café de miel avec lesquelles il sucrait son thé
Révolution douce
Contrairement à une tendance tragique de l’époque de Dolphy, "la seule drogue à laquelle il s’adonnait était quelques cuillères à café de miel avec lesquelles il sucrait son thé", dixit le batteur Han Bennink. Nous voici donc avec un artiste qui pratique une révolution douce mais implacable d’un langage musical qui ne peut pas ne pas évoluer; un artiste qui sait où et quand il peut ouvrir les fenêtres sur ce discours, peu soucieux de plaire, tout en gagnant sa vie par la parfaite exécution des partitions qui lui sont proposées dans d’autres contextes.
L’auteur du livre, Guillaume Belhomme, musicien et écrivain français né à Nantes en 1976, a écrit pour tous les formats, du blog au livre historique sur le jazz. Des centaines d’entretiens et de portraits.
Puis il y a Dolphy
"Outre sa sonorité, il y a une discrétion propre à l’homme qui me touche aussi particulièrement, qui me parle, confie Guillaume Belhomme. Et puis enfin, cette envie qu’il avait de ne pas renier la tradition. C’est cette curiosité, puis cette envie qu’avait Dolphy de faire à sa manière, une chose qui lui soit propre."
Pour l’auteur, la nécessité est de mettre en valeur ce qui échappe à la première apparence qui montre une légende à la carrière fulgurante dotée d’un discours original et une disparition précoce. Et cette chose c’est l’indépendance d’un esprit frappé par une grâce originale, donc destinée à bousculer les linéarités musicales de nos esprits attirés par un certain confort dans la répétition.
C’est là que notre prophète musical devient le partenaire indispensable des autres pionniers de musique jazz: John Coltrane, Charles Mingus, Ornette Coleman, Chico Hamilton pour ne citer que les plus connus.
Alors oui, il est bon de situer les puissants créateurs de musique de cette époque, de se laisser happer par le sentiment que sans eux, il y a des formes de libertés musicales qui restent inaccessibles et c’est dommage, quoi que vous ayez écouté auparavant. Ces 150 pages au discours dense et efficace, parfaitement documenté, nous rappellent que connaître la vie d’un artiste de cette trempe permet d’en apprécier la musique avec une acuité nouvelle.
Eric Dolphy a vécu de 1928 à 1964. Il meurt en Allemagne à l’âge de 36 ans des suites d’un diabète non diagnostiqué. Le personnel soignant de l’époque le croyant toxicomane, il n’a pas été pris en charge. Comme quoi les préjugés tuent.
Ivor Malherbe/sc
"Eric Dolphy" de Guillaume Belhomme paraît aux éditions Lenka Lente.
Vous aimez lire? Abonnez-vous à QWERTZ et recevez chaque vendredi cette newsletter consacrée à l'actualité du livre préparée par RTS Culture.