"Chansons pour le Léman" est un étrange recueil né d’une lubie du chanteur Marc Aymon: recueillir des chansons lémaniques, les enregistrer spécialement, puis les "exposer" au Musée du Léman à Nyon.
L'idée (folle) de Marc Aymon titille Lionel Gauthier, le conservateur du musée. Lui-même par ailleurs est musicien, auteur de chansons et confesse en connaître par cœur des wagons entiers. Il faut dire aussi que la place du Léman dans l'histoire de l'art est avant tout du côté des beaux-arts, plutôt que de "l’art mineur" que représente la chanson.
Une soixantaine de chansons
La recherche commence, la récolte s’avère bonne: une soixantaine de chansons plus tard, l’équipe se met au travail. Lionel Gauthier, pourtant expert en la matière, ne s’attendait pas à trouver autant de chansons: "Quand Marc m’a proposé le projet, il est venu avec deux chansons et moi j’ai tout de suite eu trois chansons en tête: 'Genève' de William Sheller, 'Smoke on the Water' de Deep Purple et puis 'Les mouettes' de Sarclo. Nous avons dû beaucoup chercher, mais ça démontre une fois de plus à quel point le Léman a une place spéciale parmi les lacs du monde. Je dis souvent qu’il y a plusieurs millions de lacs autour de la terre, mais il n’y a pas plusieurs millions de musées de lac parce que le Léman est particulier."
Lionel Gauthier, géographe de formation, a de solides arguments. Si les lacs du monde entier sont en effet cités en raison de leur taille ou de leur profondeur, le Léman a une spécificité liée à l’histoire des habitants de ses rives, dont un certain Jean-Jacques Rousseau: "Il fait venir les Anglais, il fait venir Byron, Shelley, et tout s’enchaîne".
De Shelley à Sheller
En quoi une chanson peut-elle intéresser un géographe? "Tout est géographique. On peut faire de la géographie sur tout: géographie sociale, économique, géographie des volcans ou de la sexualité. Moi je suis sorti de mon carcan disciplinaire. Ma base de géographe m’aide à appréhender le monde, j’ai la curiosité de tout ce qui touche au lac, et j’ai envie de le raconter. Je me présenterais plus comme un chroniqueur du Léman que comme un géographe."
Les chansons du Léman parlent beaucoup du paysage, tant il est changeant au rythme des saisons et de l’humeur des auteurs, et c’est une des forces poétiques du lac: "Prenez William Sheller et Philippe Katerine, ils parlent à peu près du même coin de Genève, mais les deux chansons sont très différentes." Histoire d’amour douloureuse pour l’un, réveil difficile au Jardin anglais pour l’autre, deux personnalités très éloignées qui offrent une lecture très personnelle d’un même lieu.
Tradition et modernité
"Il n’y a pas très longtemps, j’étais avec un ami grenoblois qui travaille pour Le Musée dauphinois. Je lui demandais s’il était possible de reproduire la même chose à Grenoble. Il m’a dit que non. Nous allions trouver peu de chansons, ou alors quelques chansons vraiment traditionnelles. Ici on a à la fois des chants traditionnels et des chansons très modernes."
François Vé, Gilles et Urfer bien sûr, Aliose, Marc Aymon, Michel Bühler, les régionaux de l’étape laissent la place à des interprètes surprenants dont certains n’ont jamais mis le pied dans l’eau du Léman. Ainsi les Marseillais Koger, Scotto et Sellers avec "La chanson du lac Léman" pour qui le lac a servi de rime avec 'amants', 'tendrement' et 'charmant'.
On notera également la malice de John Godd, qui regrette son lac Nokoué au Bénin et ses crocodiles sur les rives alors que le Léman n’arbore que des sacs en croco!
Pierre Philippe Cadert/aq
"Chansons pour le Léman. Ici, le lac ressemble à la mer." Auteur: Lionel Gauthier. Illustrateur: Cyrille Chatelain. Directeur musical: Marc Aymon. Editions Glénat / 192 pages.
L’exposition (musicale !) est visible jusqu’au 18 février 2024 au Musée du Léman à Nyon.
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