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Rétrospective: dix livres marquants de l'année 2022

L'écrivaine valaisanne Sarah Jollien-Fardel le 14 septembre 2022 à Bramois. Son livre "Sa préferée" a remporté le prix du roman Fnac et était en lice pour le Goncourt. [Keystone - Jean-Christophe Bott]
L'écrivaine valaisanne Sarah Jollien-Fardel le 14 septembre 2022 à Bramois. Son livre "Sa préferée" a remporté le prix du roman Fnac et était en lice pour le Goncourt. - [Keystone - Jean-Christophe Bott]
Journalistes spécialisés en littérature pour la RTS, Nicolas Julliard et Sylvie Tanette dévoilent leurs coups de coeur littéraires suisses et français de l'année écoulée.

LES CHOIX DE NICOLAS JULLIARD

Cinq livres suisses:

David Bosc, "Le pas de la demi-lune", ed. Verdier

Cinquième roman de David Bosc, "Le pas de la demi-lune" imagine une utopie communautaire, déployée dans une région marseillaise à la toponymie japonisante. Une fable politique célébrant une manière plus poétique d’être au monde.

>> A lire aussi : Avec "Le pas de la demi-lune", David Bosc fait de Marseille une utopie bienheureuse

Alice Bottarelli, "Les quatre soeurs Berger", ed. de l’Aire

Salué par le prix Georges-Nicole 2022, le premier roman d’Alice Bottarelli met en scène quatre sœurs qui s’entendent, ou pas, pour vider le chalet familial après le décès de leur mère. Un huis-clos en trompe-l'œil où la sororité s’éprouve et se libère.

>> A lire aussi : "Les quatre soeurs Berger" d'Alice Bottarelli, inventaire familial avant liquidation

Jérôme Meizoz, "Malencontre", ed. Zoé

En panne d’inspiration au moment d’écrire un polar, le narrateur de ce roman reporte son attention sur Rosalba, l’amour secret de ses 15 ans. Enquête en forme de faux polar, portrait d’une communauté valaisanne dominée par une famille au machisme pesant, "Malencontre" explore la part fantasmée de l’autofiction chère à Jérôme Meizoz.

Sarah Jollien-Fardel, "Sa préférée", ed. Sabine Wespieser

Révélation de la rentrée littéraire, Prix Fnac et Choix Goncourt de la Suisse, le premier roman de Sarah Jollien-Fardel expose dans une langue âpre et ciselée la violence sourde d’une enfance valaisanne dont les répercussions se font sentir à l’âge adulte.

>> A lire aussi : La violence domestique au coeur de "Sa préférée" de Sarah Jollien-Fardel

Catherine Logean, "Confessions à un ficus", ed. L’Arbre vengeur

Premier roman de Catherine Logean, "Confessions à un ficus" brosse le portrait pathétique d’un presque quadragénaire en mal d’affirmation. Un récit drôle et féroce, traquant l’insolite dans nos aliénations ordinaires.

LES CHOIX DE SYLVIE TANETTE

Cinq livres français:

Emmanuelle Bayamack-Tam, "La treizième heure", ed. POL

Prix Medicis mérité pour l’autrice d'"Arcadie" avec ce roman qui mêle érudition, humour et transgression. Soit une ado intersexuée élevée dans une secte adepte de poésie, et qui tente de résoudre un mystère: pourquoi sa mère l’a-t-elle abandonnée à sa naissance? Problématique des origines, incertitude sur le genre, sexualité joyeuse, parents défaillants, mais aussi déclaration d’amour à la littérature et à la chanson populaire, ce roman est décidément hors-norme, l’un des plus ambitieux et inclassables de la rentrée. Surtout, on retrouve la phrase inimitable de Bayamack-Tam, tissée de vers classiques et d’innombrables citations littéraires.

Depuis ses premiers textes il y a vingt ans, cette romancière qui publie aussi sous le pseudo de Rebecca Lighieri prône ainsi la liberté, en particulier sexuelle. Mais elle devient au fil des ans de plus en plus politique, et c’est aussi ce que l’on retient de ce livre et ses personnages rétifs aux injonctions du libéralisme, qui préfèrent s’isoler et vivre dans la dissidence.

>> A lire aussi : Emmanuelle Bayamack-Tam, politique et transgressive dans "La treizième heure"

Virginie Despentes, "Cher connard", ed. Grasset

La couverture du livre de Viriginie Despentes "Cher connard". [Editions Grasset]
La couverture du livre de Viriginie Despentes "Cher connard". [Editions Grasset]

Le livre a dominé la rentrée, mais n’a finalement pas décroché de grand prix. L’autrice de "Baise-moi" détonne avec ce texte épistolaire au rythme soutenu, dialogue sans fard entre une comédienne et un écrivain. Ces deux célébrités cinquantenaires avaient partagé la même adolescence de province et, courriel après courriel, font le bilan de leur vie. Féministe, radical, "Cher connard" parvient à aborder, à propos des relations entre les hommes et les femmes, nombre de thématiques qui nous occupent particulièrement depuis l’explosion du mouvement #Metoo. Tous nos maux contemporains, et tous les sujets que Despentes aborde dans son œuvre depuis toujours, semblent rassemblés ici.

Ce livre extrêmement riche et engagé n’est pas pour autant didactique ni pesant. Car il est tout entier porté par la phrase de Despentes, son énergie unique, et le travail très singulier sur la langue qu’elle élabore texte après texte.

>> A lire aussi : Figure punk des lettres, Virginie Despentes revient avec "Cher connard"

Diaty Diallo, "Deux secondes d’air qui brûle", ed. Seuil

Un des premiers romans les plus remarqués de la rentrée. La jeune autrice décrit le quotidien d’un anodin quartier de la banlieue parisienne, où un jeune sera victime de violences policières. Diallo invente une phrase, un rythme, un vocabulaire qui colle au plus près de ses personnages.

Surtout, elle choisit de décrire des lieux encore peu présents dans la littérature hexagonale, et c’est d’abord une exploration géographique qu’elle propose, celle des espaces communs, parkings ou escaliers, que se partagent les habitants.

Diallo sait éviter les clichés, et son évocation des mères de famille, des petits enfants qui jouent au pied des immeubles, est particulièrement juste et donne une dimension plus large à un livre qui aurait pu se concentrer sur les ados au centre du récit. Enfin, Diallo signe un livre politique, qui montre la violence que subissent ses personnages, qu’elle soit policière ou, plus généralement, imposée dans leur vie par la société inégalitaire qui les entoure.

>> A lire aussi : Diaty Diallo raconte les vies brisées par les violences policières

Brigitte Giraud, "Vivre vite", ed. Flammarion

Brigitte Giraud remporte le prix Goncourt 2022 pour son roman "Vivre vite", sorti chez Flammarion
Brigitte Giraud remporte le prix Goncourt 2022 pour son roman "Vivre vite", sorti chez Flammarion

Claude était le compagnon de Brigitte Giraud et le père de son fils, et il est mort dans un accident de moto. Cet épisode tragique s’est déroulé dans les années 90, alors que le jeune couple venait d’acheter une maison. Plus de vingt ans plus tard, la romancière s’apprête à déménager et revient sur le drame.

Examinant toutes les circonstances qui ont rendu possible un tel accident de moto, elle tente de réfléchir à ce qui aurait pu permettre de l’éviter. Chaque chapitre analyse un aspect de la vie de Claude, et la sienne: pourquoi Claude a-t-il enfourché cette moto? Pourquoi ont -ils acheté cette maison? Pourquoi n’était-elle pas aller chercher leur fils à l’école? Ainsi, dans ce texte émouvant, l’autrice d’"Avoir un corps" dépasse le strict récit intime pour proposer une analyse sociologique puisqu’elle dresse le portrait d’une époque, d’un milieu, d’une génération. Ce livre tout en pudeur a permis à Brigitte Giraud de décrocher le Prix Goncourt, et c’est bien mérité!

>> A lire aussi : Dans "Vivre vite" Brigitte Giraud fait la généalogie d’une disparition

Yves Ravey, "Taormine", ed. Minuit

Toujours excellent, Ravey explose de nouveau les codes du roman noir pour échafauder un labyrinthe littéraire plein de faux semblants. A peine arrivé en Sicile pour un séjour touristique, un couple provoque un accident de la route qu’il tente maladroitement de dissimuler. Il se retrouve alors ligoté dans son propre piège. Comme dans ses romans précédents, l’auteur de "Pas dupe" crée un narrateur pétri d’une angoisse qui remonte loin dans sa vie, sans que l’on sache réellement d’où elle provient. Il sait aussi installer une relation de couple délétère, gangrenée par des mensonges.

C’est dans cette difficulté à vivre, cette sensation d’endosser un costume pour lequel ils ne sont pas taillés que se rejoignent les narrateurs de Ravey. Et c’est ce qui fait que ses livres, d’une construction parfaite, bien plus que des romans de genre, constituent une réflexion toujours renouvelée sur la condition humaine.

>> A lire aussi : Dans "Taormine", Yves Ravey questionne notre responsabilité face à un accident

mh

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