"One Piece", "Naruto", "Dragon Ball", "L'attaque des titans": aujourd'hui, les mangas sont connus de près ou de loin du grand public. Ce succès remonte aux années 1980. Avec des personnages comme Goldorak à la télévision, les enfants et les adolescents français, belges et suisses sont biberonnés aux "anime" (prononcer animés) – le nom donné aux dessins animés japonais souvent issus de leur version papier, les mangas – grâce aux émissions télévisées Club Dorothée et Récré A2.
"Les séries japonaises étaient moins chères que les séries américaines ou françaises à l’époque", expliquait en 2021 Grégoire Hellot, directeur éditorial des éditions Kurokawa ("Pokémon", "Full Metal Alchemist") à la RTS. "'Goldorak' était un essai extrêmement probant, et toutes les chaînes de télévision voulaient diffuser des dessins animés japonais."
>> À lire aussi : Les mangas et les jeunes, une idylle littéraire en Europe aussi
"Mettez-vous dans la peau des enfants de l'époque: toute leur vie, ils ont regardé 'Tom & Jerry' ou les 'Looney Tunes' à la télévision. D’un coup, ils découvrent des histoires où des personnages traversent l'univers dans des vaisseaux spatiaux, où des héroïnes font face à l’amitié, à la trahison ou à la mort comme 'Candy'. Ces sujets étaient très peu abordés dans les œuvres pour enfants à l’époque. C’est un choc émotionnel."
Quarante ans plus tard, le succès des mangas ne se dément pas. Ils se consomment désormais comme au Japon, dans leur version papier et imprimée. Pourquoi? Selon Grégoire Hellot, cela est dû à "la puissance de narration des mangas. Ces œuvres n'ont pas peur d’utiliser de nombreuses pages pour caractériser leurs personnages".
L'autre facteur qui fait que le manga fonctionne est sa qualité de feuilleton. "Les mangas sont soumis à une très forte concurrence au Japon. Nous les recevons en format relié en Europe, mais au Japon, chaque chapitre est prépublié dans un magazine", explique Grégoire Hellot. "Les lecteurs sont ensuite invités à partager leur avis sur les différentes séries en cours. En cas de trop d’avis négatifs, l'histoire est coupée. Chaque chapitre doit donc être très dynamique et accrocheur."
>> À lire aussi : Edition record pour Polymanga à Montreux après deux ans d'absence
L’implication émotionnelle y est également plus forte que dans les bandes dessinées classiques. "Cette puissance de narration est premièrement due à l’espace disponible pour raconter l’histoire. "Un album de bande dessinée, c’est 50 pages. Donc en 50 pages, le personnage doit à la fois se faire connaître du lecteur, évoluer et résoudre son histoire. Par exemple, que sait-on d’Astérix? On sait qu'il aime le sanglier, qu'il est copain avec Obélix, mais c’est tout. Tandis qu’en un tome de manga, le lecteur a le temps de découvrir le personnage principal, ce qu'il aime, ce qu'il déteste, ses habitudes, etc."
Une violence omniprésente?
Lors de leur arrivée en Europe, les mangas choquent par leurs dessins peu conventionnels, mais aussi par leurs héros et les thèmes abordés, issus des traumatismes de l’adolescence. Harcèlement scolaire ou familial, rébellion contre l’autorité, bagarres et blessures: ces différentes formes de violence y sont omniprésentes, des héros des "Chevaliers du zodiaque" en passant par les personnages ultra-musclés de "Dragon Ball", les footballeurs "Olive et Tom" ou encore les super-héroïnes de "Sailor Moon".
Cependant, cette violence fait que le public adhère aux séries. "On s’identifie facilement aux héros, c'est très universel. Les peurs et les traumatismes communs aux ados y sont abordés", expliquait la journaliste et chroniqueuse Marie Palot dans l’émission "Médialogues" en mars 2022.