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Mattia Filice, une locomotive dans la littérature parisienne avec "Mécano"

Mattia Filice. [POL - Bamberger]
Entretien avec Mattia Filice, auteur de "Mécano", aux éditions P.O.L. / QWERTZ / 32 min. / le 17 janvier 2023
Mattia Filice signe un premier roman qui ne ressemble à aucun autre: une épopée échevelée pour dire le quotidien d’un conducteur de train. "Mécano" collecte mille récits des petits et grands événements qui se déroulent dans les gares et sur les voies.

Un poème épique, une autobiographie, une autofiction, un roman choral, un pastiche de film noir, un récit initiatique, bref un ovni littéraire traversé de multiples citations et références culturelles. Voilà ce qu’a écrit Mattia Filice comme premier roman. Parce qu’il fallait trouver une forme spécifique pour écrire sur un sujet qui n’apparaît habituellement pas dans la littérature française: la vie quotidienne d’un conducteur de train, ce qu’est Filice depuis dix-huit ans, tout comme son narrateur, son double.

Un roman d’aventures

Il fallait bien ça pour dire le rythme oppressant, les nuits passées à conduire, la vitesse. Il fallait dire la peur aussi, le danger qui toujours guette celui qui par inadvertance s’accorde une minute d’inattention. Ce que traduit très bien la forme de l’épopée, dans un roman d’aventures où chaque page est une épreuve à traverser. Une extrême tension porte "Mécano", et jusqu’à la dernière page on ne le lâche pas.

L’humour est partout présent, dans les réparties des personnages et dans les réflexions d’un narrateur plein d’autodérision. Filice, qui dans un autre temps a été projectionniste dans une salle d’art et essai pour financer des études de cinéma, a également bourré son texte de références au cinéma de genre, décryptables ou pas, qui rajoutent une coloration drôlatique à certaines scènes, anecdotes du quotidien qui sous sa plume deviennent des aventures grandioses dignes d’un western.

Un "pudding littéraire"

"Dès le début j’avais envie d’écrire sur cette expérience. Longtemps je m’en suis senti incapable. Je ne trouvais pas la forme juste. Le faire avec une prose en gros bloc me semblait en opposition avec tout ce qu’il se passait. Je ne voulais pas en faire un simple témoignage. Je voulais quelque chose de composite mais il m’a fallu du temps pour que ça se matérialise", livre Mattia Filice.

Le monde ferroviaire est composite. La meilleure manière d’en dresser le portrait était d’en faire un pudding littéraire afin d’entendre toutes les voix qui se trouvent en gare.

Mattia Filice

"Progressivement, je me suis rendu compte que je côtoyais des personnes qui réalisaient des actes héroïques au quotidien", confie-t-il. C’est pour rendre hommage à ceux et celles qui l’entourent, anonymes qui chaque jour se tiennent aux commandes de monstres lancés à plusieurs centaines de kilomètre-heure, que le jeune auteur a choisi ce roman qui collecte mille récits des petits et grands événements qui se déroulent dans les gares et sur les voies. L’auteur a ainsi dressé une magnifique galerie de portraits qui traduit le melting pot ferroviaire, hommes et femmes aux origines et aux parcours très divers, où de vieux sages enseignent aux jeunes fous les ficelles du métier.

Une œuvre politique

C’est avant tout le collectif qui passionne l’auteur. Son livre, loin d’être un simple témoignage, est une œuvre politique. Une grève qui paralyse le trafic en constitue un des moments clés. Ici on voit tous ces gens s’organiser, prendre la parole dans les assemblées, se révéler, s’épauler et tenter un bras de fer contre une direction aveugle. Ici, le romancier pense la relation au travail dans son ensemble, et nombre de lecteurs et lectrices, employés dans des secteurs très différents, peuvent se sentir concernés par ce qui est dit de la façon dont une direction traite ses subordonnés.

"En tête de train

je pointe l’horizon

avec la M184

dont le nom ressemble à un modèle de vaisseau spatial

ou à un nom de flingue"

Mattia Filice, "Mécano"

De la poésie d'acronymes

Mais ce que l’auteur écrit sur ce qui l’entoure ne serait rien sans les qualités littéraires du texte, dans sa phrase même. L’auteur travaille le langage. Et les termes professionnels spécifiques, bourré d’acronymes et d’expressions incompréhensibles pour le profane, Filice a su en faire de la poésie.          

Et puis il y a la nonna, la grand-mère italienne, et ses phrases en version originale qui parsèment le texte. C’est un autre niveau d’hybridation dans la langue même, et un espace narratif où le narrateur se livre un peu, à propos de ses origines et de cette mystérieuse grand-mère dont, aujourd’hui encore, les conseils en italien résonnent toujours en lui.

Sylvie Tanette/mh

Mattia Filice, "Mécano", ed. POL.

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