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"Le vingtième siècle", la tour de Babel d'Aurélien Bellanger

L'auteur Aurélien Bellanger. [Gallimard - Francesca Mantovani]
Entretien avec Aurélien Bellanger, "Le vingtième siècle" / QWERTZ / 28 min. / le 26 janvier 2023
Evoquant par fragments le philosophe et critique Walter Benjamin, un suicide, une bibliothèque, la quête d’un livre disparu et un mouvement d’ultra-gauche, Aurélien Bellanger signe avec "Le vingtième siècle" un grand roman mélancolique et babélien.

L'aura, celle d’une œuvre, qui perdure à travers sa reproduction ou se délite, concept décrit par le philosophe, penseur et critique juif allemand Walter Benjamin, est au cœur du roman d’Aurélien Bellanger.

Au départ, se trouve l’envie de rendre hommage, cette célébration de l'aura, la volonté d’écrire un livre sur Walter Benjamin et sur son rayonnement intellectuel. Mais quelle forme lui donner? Notre auteur se heurte à l’incroyable difficulté du sujet. Walter Benjamin est un philosophe aussi génial que très largement incompréhensible. Que choisir? Sa vie? Sa pensée? Tout s’entremêle, se répond.

Forme kaléidoscopique

Aurélien Bellanger opte pour une forme kaléidoscopique, remontant le temps, mêlant articles, extraits des œuvres de Benjamin, e-mails, notes, rapports de police, correspondances diverses. Son "Vingtième siècle" prend une forme épistolaire, éparpillée, dont les fragments se recoupent pour mieux dresser le portrait d’un penseur indispensable. "Le dispositif est assez bizarre, mais il est m’est apparu durant l’écriture comme étant évident, souligne l’auteur. Benjamin, jeune, s’intéresse beaucoup au romantisme allemand. Le romantisme allemand progresse par fragments et lui s’inscrit d’emblée dans cette tradition."

Walter Benjamin écrit "Le livre des passages", son ouvrage sur Paris et le 19e siècle, entre les années trente et sa mort par suicide en 1940. C’est un ouvrage passionnant, sur la modernité, sur la ville, sur Baudelaire, sur le dix-neuvième siècle. Un ouvrage jamais terminé, ni clarifié. La structure même des textes consiste en une accumulation, une juxtaposition de pensées diverses et érudites.

Mon hypothèse c’est qu’au moment où il meurt, il commence à entrevoir quelle forme pourrait prendre ce livre et ce livre aurait Charles Baudelaire pour personnage principal, car Baudelaire est une sorte de métonymie, de résumé, d’allégorie du 19e siècle, et à partir de là, j’avais mon projet. Je vais raconter non pas le 19e siècle à travers la figure de Baudelaire, mais le 20e siècle à travers la figure de Benjamin, qui est le flâneur parfait.

Aurélien Bellanger

Pastiche virtuose

Flâneur, le mot est lâché, agrippé par Aurélien Bellanger qui le fait sien. Dans "Le vingtième siècle", il s’amuse, se cache dans un agencement de mots, de lettres, d’écrits. Faussaire authentique, l’auteur imagine plein de choses qu’auraient pu produire des gens qui avaient connu Benjamin.

J’ai produit des documents d’une véracité assez élevée: il y a un tiers de fragments de Benjamin, et les deux autres tiers sont des documents extérieurs, des commentaires de Gretel Adorno, des lettres de Gershom Scholem, qui dressent une sorte de portrait chinois de Benjamin, et qui marchait bien sur le personnage.

Aurélien Bellanger

Pastiche virtuose, le roman s’écrit sans narrateur, permettant à l’auteur de s’amuser d’un intellectuel insaisissable. "Benjamin disait, dans les années 1920, avec immodestie: "Pourquoi je suis le plus grand critique d’Allemagne? Parce que je n’emploie jamais le mot je". Le narrateur est caché, fabrique un agencement où il peut aller le plus loin possible, mettre en sous-main plein de choses de sa psyché et de Walter Benjamin.

"Le vingtième siècle" est la tour de Babel d’Aurélien Bellanger, son mystère de la chaussette. "La chaussette n’a pas d’intérieur, elle est retournée pour être son propre intérieur. Elle est la structure qui devient elle-même le contenu. J’ai essayé de pousser cette idée le plus possible." Véritable roman chaussette, roulé sur lui-même, il questionne les résidus de poésie, la pérennité des écrits et de leurs écrins - les bibliothèques. Les révolutions et les révolutionnaires, les passages et le temps. Roman énigmatique procédant du montage photographique, il saura satisfaire joyeusement tous les benjaminiens et benjaminiennes contemporaines. Si vous ne l’êtes pas encore, prenez garde, à la lecture de ce livre, vous risquez de le devenir.

Catherine Fattebert/olhor

Aurélien Bellanger, "Le vingtième siècle", Ed. Gallimard.

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