Maria a grandi au pied des pyramides de Teotihuacan. C'est là, au sommet du temple du serpent à plumes Quetzalcoatl, qu'elle a passé ses journées à dessiner jaguars, aigles et singes; là aussi qu'avec Camilo, orphelin recueilli par sa famille, elle joue des heures durant, ignorant les touristes qui parfois les photographient tels des animaux exotiques.
Et puis un jour, tout bascule: son petit frère d'adoption se fait mortellement mordre par un serpent. Dans un acte de vengeance, Mama Meche, la grand-mère, massacre alors tous les reptiles qui croiseront son chemin, et cet événement va susciter chez Maria un profond sentiment d’injustice qui fera germer en elle la graine du militantisme antispéciste.
Le sentiment de l’exception humaine, programmé par des générations d’ancêtres ayant traversé les millénaires, se détachait d’elle, comme une peau morte.
Luchador de la cause animale
Voilà Maria à 16 ans qui suit des cours de dessin, qui risque sa vie pour traquer et dénoncer la maltraitance animale, et cela porte ses fruits: en infiltrant les milieux des combats de chiens, elle parvient à les faire interdire dans certains quartiers d’Ecatepec, ville où les féminicides et les rapts de jeunes femmes, comme elle, ne sont pas rares. Pourtant, rien n’arrête Maria qui, une fois adulte, peine à freiner son ardeur militante, allant jusqu’à s’exposer elle-même, mais surtout, met en péril les siens. Et la situation n’est pas à prendre à la légère.
Car face à elle, il y a César Milan, narcotrafiquant qui règne en maître et dispose des autres comme bon lui semble. Lors d'une soirée autour de sa piscine, non loin de son haras, accompagné de ses deux molosses, il engage une conversation avec Maria, qui le surprend en le traitant d’emblée de "tueur de femmes". S’ouvre alors une discussion autour de la nécessité de faire cesser les meurtres, à laquelle Milan ne souscrit pas.
Explique-moi pourquoi il faudrait arrêter de commettre des meurtres. Vas-y! Dis-moi ce que ça changerait.
Maria parviendra-t-elle à faire changer d'avis cette figure archétypale du mâle violent pour qui la vie d'une femme ne vaut pas plus que celle de ses chiens? Et que lui arrivera-t-il maintenant qu’elle se trouve entre les mains du Diable en personne?
Dialogue de bêtes
"Ecatepec" abonde en présences animales, autant humaines que non humaines. Ainsi dès les premières pages, Camille Brunel nous happe par la diversité des êtres qui peuplent son récit: serpents, enfants, chiennes, papillons monarques, vaches ou jument ont la particularité d’être mis par l’auteur au même plan. Dans ses mots, ce sont des couleurs, des odeurs, des sons, mais aussi des rêves et des pensées qui marient toutes ces âmes dans un même tableau.
Autre thématique essentielle du récit, un parallèle constant établi entre l'instinct maternel tel qu'il est vécu par la mère de Maria et tel que les animaux l'incarnent. Ainsi Metzcal, une chatte dont aucun des petits ne survit, va devenir la mère de substitution du petit Fabrizio, que délaisse sa mère, affaiblie par une profonde dépression.
"Ecatepec" est innervé de bout en bout par la fièvre animaliste de Camille Brunel. Pour peu que ce roman-là vous percute, nul doute que vous irez lever le voile sur les autres écrits de cet auteur habité, que ce soit l’un de ses précédents romans, "La guérilla des animaux", "Les métamorphoses", "Après nous, les animaux" ou ses divers essais comme "Les animaux au cinéma" ou "Eloge de la baleine". Camille Brunel, un auteur à plumes, dont on peut devenir dépendant.
Céline O’Clin/aq
Camille Brunel, "Ecatepec", éditions Alma.
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