"Le chevalier fracassé" de Colin Thibert, en plein coeur de la Révolution française
Quand on entre dans la vie sous le nom d’Alexandre-Joseph Martinet-Dubied, mieux vaut en changer rapidement. Jeune homme à la beauté ténébreuse, ce Neuchâtelois séducteur se rend coupable, malgré lui, du meurtre d’un paysan courroucé. Prenant la fuite en France, il monte à Paris et adopte l’identité d’Alessandro Vesperelli.
Ainsi débute "Le chevalier fracassé", nouveau roman de l’auteur franco-suisse Colin Thibert. Un récit d’apprentissage inventif et cocasse, dépeignant l’ascension et la chute de cet arriviste joyeux infiltrant les salons mondains à l’aube de la Révolution française.
Qui aurait pu prévoir que ce minuscule pistolet remplirait si bien son office, qu’une seule balle, de la taille d’un petit pois, suffirait pour abattre ce paysan massif dopé aux Saintes Ecritures?
Une insatiable curiosité
Passionné par l’histoire des sciences et le monde de l’image, Colin Thibert est devenu romancier sur le tard, après un parcours professionnel aux sinuosités remarquables.
De l’architecture d’intérieur à la gravure, du dessin de presse aux pièces radiophoniques, des scénarios de téléfilms à la bande dessinée, ce touche-à-tout né, comme son personnage, à Neuchâtel, n’a pour boussole qu’une insatiable curiosité dont la vivacité rejaillit aujourd’hui dans ses romans.
Entre fiction et réalité historique
Le théâtre de la Révolution, cadre du "Chevalier fracassé", lui vient ainsi lorsqu’il se prend de passion pour l’histoire des jeux d’optiques et des ancêtres du cinéma. Dans son ascension sociale, Alessandro Vesperelli fait la rencontre d’Anthelme de Bricourt de Faverolles, un vieux marquis passionné par les sciences et les arts optiques. Devenu son amant, élevé au rang de chevalier par le marquis, Alessandro va l’aider à élaborer la construction d’un Panthéome, sorte de panorama avant la lettre.
Les deux hommes convoquent alors les meilleurs architectes de leur temps. L’occasion pour Colin Thibert d’évoquer les créations visionnaires de Lequeu, de Boullée ou de Ledoux, dont le projet baptisé Oïkema envisage un bâtiment en forme de phallus dédié à la prostitution. Véridique, cette curiosité historique rejoint ainsi dans le roman les nombreuses évocations de personnages et de lieux bien réels, conspirant à inscrire la fiction de ce destin rocambolesque dans la réalité historique de son temps.
Un festival de saynètes burlesques
Amoureux de la littérature classique, Colin Thibert se fait une joie d’explorer, sur le mode parodique, les raffinements de la langue des Lumières. Quatrains polissons, allusions déguisées et anachronismes cocasses jalonnent ainsi le récit romanesque, dans une succession de scènes et de dialogues dignes des meilleures comédies-bouffes.
J’ai toujours adoré cette langue du XVIIIe siècle, c’est un pur régal pour l’oreille. J’irai presque jusqu’à regretter qu’on ne puisse pas écrire tout le temps comme ça!
Dans "Le chevalier fracassé", on se bat en duel à l’aide de citations bibliques, on découvre les origines insoupçonnées de la musique lounge et on s’insulte à grand coup de "maraud" et de "bélître". Un festival de saynètes burlesques dont la virtuosité dépasse de loin l’exercice de style. Car dans sa fresque chamarrée, l’auteur n’oublie pas de glisser quelques tonalités plus sombres. Au lendemain de la Révolution, l’aventure du chevalier se fracasse sur la brutalité de son temps, et la facilité de son ascension n’a d’égale que la cruauté de son déclin.
Nicolas Julliard/aq
Colin Thibert, "Le chevalier fracassé", ed. Héloïse d’Ormesson
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