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"Le mystère de la femme sans tête" de Myriam Leroy, hommage à une rebelle

L'écrivaine Myriam Leroy. [DR - Romain Garcin]
Entretien avec Myriam Leroy, autrice du "Mystère de la femme sans tête" / QWERTZ / 22 min. / le 1 mars 2023
Avec "Le mystère de la femme sans tête", la romancière belge Myriam Leroy déterre le destin fulgurant d’une résistante d’origine russe, Marina Chafroff-Maroutaëff. Oubliée de l’Histoire, cette femme courageuse a été décapitée sur ordre d’Hitler em 1942.

2021, Bruxelles. La ville est en confinement. Les seuls lieux où il est encore possible de se voir sans un masque chirurgical sur le visage sont chez soi, en cachette, ou encore dans les cimetières. Myriam Leroy opte pour cette dernière option et donne rendez-vous à une amie de longue date, au cimetière d’Ixelles, "le Père-Lachaise belge", à deux pas de chez elle.

Au détour d’une allée, l’écrivaine découvre, amusée, un drôle d’alignement de stèles funéraires, toutes identiques. Puis elle réalise, en s’approchant, que l’espace est dédié aux martyrs de la Seconde Guerre mondiale.

Un mot à l’origine du roman

Parmi un océan de noms de jeunes hommes, celui d’une femme apparaît avec, sous son épitaphe, un mot qui saute aux yeux de l’écrivaine: "décapitée". A la lecture de cette violente sentence, Myriam Leroy décide de se lancer sur les traces de cette femme au courage inouï.

Et puis tu as lu, sous un nom plein d’évidence venu de l’Est, ces quatre syllabes qui t’ont claqué au visage comme une rafale de mitrailleuse. "DECAPITEE". En dépit de la tragédie qu’elle traîne, la femme sans tête vient d’allumer le feu de joie dans ton corps. Et tu juges sans attendre que la ramener à la vie, c’est te réanimer.

Extrait de "Le mystère de la femme sans tête" de Myriam Leroy

Une mère d’apparence ordinaire

Née en 1908 à Libau, en Lettonie actuelle, Marina Chafroff-Maroutaëff grandit au sein d’une famille bourgeoise d’obédience fortement tsariste. Dès 1917, à l’aube de la Révolution russe et à la suite du licenciement de son père, la famille Chafroff est obligée de s’enfuir. Exilée en Belgique, la jeune Marina se retrouve à Bruxelles dans une communauté appauvrie.

A l’âge de 24 ans, elle rencontre Youri, son futur époux, qui deviendra par la suite le père de ses deux enfants, Vadim et Nikita. Malgré un coup de foudre immédiat et passionnel, la relation se délite avec l’arrivée de leurs fils. Le jeune homme s’absente souvent et délaisse la maison, Marina et sa progéniture. La montée du nazisme, dès 1940 en Belgique, la répétition asservissante des tâches ménagères, la pauvreté, la solitude et l’angoisse vont pousser Marina à la mobilisation.

Au départ, sa colère se manifeste par des actes de désobéissance civile: elle colle des tracts dans la rue pour inciter ses pairs au soulèvement et indique volontairement le mauvais chemin à un officier nazi.

Jusqu’au jour où elle décide de commettre un véritable attentat. Munie d’un couteau de cuisine, elle descend dans la rue et poignarde en pleine nuit un soldat allemand. Un acte violent en réponse à une condition de vie violente. En conséquence, elle sera, quelques mois plus tard, exécutée à la hache sur ordre d’Hitler à Cologne en Allemagne. Nous sommes en 1942.

"C’est une chose éternelle que de minorer les exploits politiques des femmes"

"Le projet du livre est de montrer ce qui mène une femme à l’émancipation et à la violence. Comment cette femme qu’a priori rien ne destinait à devenir une martyre a-t-elle commis la transgression la plus ultime: une tentative de meurtre", souligne Myriam Leroy.

La tentative d’assassinat ne passe pas inaperçue et par un effet de boule de neige, le peuple belge va lui aussi résister, à l’instar de Marina. Dès 1942, la rébellion à l’encontre de l’occupation nazie se fait grondante. Et pourtant, après ces actes violents et courageux, la résistante russe se verra taxée, par le régime communiste de folle ou de personnalité à pulsions suicidaires. Comme si, en tant que femme, il fallait forcément être désaxée pour commettre de tels gestes.

"C’est une chose éternelle que de minorer les exploits politiques des femmes et de leur enlever toute charge politique. Aujourd’hui, si une femme tape du poing sur la table, elle est soit ménopausée, soit jalouse, soit elle a le cœur brisé. Les motifs sont éternels et c’est ce que j’ai voulu montrer dans ce livre. Les années 1940 et les années 2000 se répondent et il y a des motifs familiers dans les deux époques."

Layla Shlonsky/aq

"Le mystère de la femme sans tête" de Myriam Leroy, éd du Seuil.

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