Picasso l’a peint. Astrud Gilberto, Nino Ferrer ou Drake ont célébré ses vertus rythmiques. Brian de Palma a fait de son cordon l’arme du crime. Le téléphone est à nos côtés, entre nos mains et dans nos imaginaires depuis plus d’un siècle. Mais avant d’être “smart” et de tenir lieu de prothèse à tout, le téléphone est d’abord, étymologiquement, la rencontre dans un corps de plastique d’un son et d’une distance.
Archiviste des voix
Le son et la distance, voilà ce qui obsède Alain Freudiger. Romancier, chroniqueur, archiviste sonore, l’auteur romand piste au quotidien les échos éloquents, les voix fantômes et les traces audibles de notre histoire commune. "Au téléphone", son nouveau livre, lui est inspiré par cet amour du son, de cette forme de communication réduite à ses propriétés auditives.
Les fils du téléphone
où se posaient les oiseaux
savaient-ils tout des discussions qui passaient?
parfois, bien informé
un corbeau.
Extrait du livre "Au téléphone" d'Alain Freudiger
Enfant dans les années 1980, Alain Freudiger se souvient de situations impensables aujourd’hui: de ce téléphone qui impose sa fixité au centre du foyer, rendant périlleuse toute conversation intime. De ces annuaires arrimés à un socle pivotant, dans lesquels on piochait parfois un numéro au hasard, le temps d’un canular. Ou encore de ce curieux jeu d’espionnage quand une même ligne se partageait entre plusieurs combinés domestiques.
Expériences corporelles
Avec l’humour et l’acuité qui caractérisent ses écrits, l’auteur réveille ainsi toutes ces situations oubliées, ces expériences qui engagent les corps et les esprits dans de singulières projections. A la manière d’une suite de petits poèmes ou de notations factuelles, "Au téléphone" explore avec malice les mutations de l’outil téléphonique, illustrant par le biais de petits récits intimes la diversité et les ratés de la communication par combiné interposé.
Un téléphone, c’est juste un fil qui relie deux voix, deux personnes, donc il fallait que la forme du livre tienne aussi compte de cette économie de moyens. C’est presque de l’arte povera, en quelque sorte.
Dans cette histoire en accéléré, porté par une plume économe et joueuse, l’auteur s’interroge sur la disparition progressive du corps et de l’essence sonore de la communication filaire: quand le téléphone devient une vitre, l’ouïe a-t-elle encore son mot à dire?
Le fil, essence du téléphone des origines, devient alors la métaphore de la mise en lien propre à cet outil. "Un téléphone sans fil n’existe pas", ose ainsi Freudiger, célébrant le lien qui persiste, même diffracté en ondes satellitaires, au cœur de la pratique téléphonique.
Nicolas Julliard/sc
Alain Freudiger, "Au téléphone", ed. Héros-Limite.
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