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Teju Cole prend le sillage de James Baldwin en Valais dans "Leukerbad 1951/2014"

James Baldwin à Loèche-les-Bains en 1962. [RTS]
James Baldwin à Loèche-les-Bains en 1962. - [RTS]
Les écrivains noirs James Baldwin en 1951 puis Teju Cole en 2014 racontent leur passage à Loèche-les-Bains, en Valais, le second sur les pas du premier, avec en toile de fond la persistance du racisme.

Lorsque l'auteur américain James Baldwin arrive en 1951 à Loèche-les-Bains, en Valais, il va mesurer la température des haines ordinaires, naïves souvent, inexplicables autrement, envers l’homme à la peau noire, premier de sa couleur à fouler ce coin de terre helvétique. Il est une attraction. Un glacier de préjugés, d’ignorances, de curiosité, de méchanceté simple, de crainte de la différence descend de la montagne.

Lorsque Teju Cole arrive en 2014 à Loèche-les-Bains le jour où James Baldwin aurait eu nonante ans, il va mesurer comment la culture afro-américaine et les personnes africaines ou métisses sont entrées dans ce village devenu moderne, une station thermale renommée.

>> A voir, le documentaire "Un étranger dans le village" :

James Baldwin [© Allan Warren]
Un étranger dans le village / Le doc ch / 29 min. / le 24 avril 2017

Deux textes face à face                                                       

Edités conjointement aux Editions Zoé, les deux textes se répondent, interrogent le même mystère intérieur irrésolu. James Baldwin est né en 1924 à Harlem, un quartier de New York qui était le foyer de la culture afro-américaine. Son beau-père pasteur lui fera la vie dure, sur le fil d’une adolescence ponctuée d’actes terrifiants, d’inceste, de viol par des officiers de police, plus le rejet familial et social dus à sa couleur, mais aussi à son homosexualité. Il a partagé sa vie entre les Etats-Unis d’Amérique et la France, un petit peu la Suisse. Il a été le porte-parole du mouvement intégrationniste, aux côtés de Malcolm X, Martin Luther King et Medgar Evers. Il est reconnu comme un des plus grands écrivains occidentaux modernes.

>> A lire aussi, notre grand format : James Baldwin, le pendulaire transatlantique

Teju Cole quant à lui est né en 1975. Il a grandi au Nigeria, après que ses parents soient rentrés des USA juste après sa naissance. Il y retournera pour poursuivre ses études. Histoire de l’art, doctorat à la clef. Il s’est investi dans un programme d’histoire de l’art africain. Il est aussi l'auteur de nombreux essais et livres qui lui ont valu une reconnaissance immédiate.

>> A écouter: l'interview de David Linx, musicien de jazz belge, compositeur et improvisateur, qui a connu James Baldwin et qui commente la parution de "Leukerbad 1951/2014" :

David Linx et James Baldwin.
Entretien avec David Linx, à propos de James Baldwin et la parution de "Leukerbad 1951/2014", ed. Zoé / QWERTZ / 25 min. / le 4 avril 2023

Des actes aux mécanismes du racisme

James Baldwin et Teju Cole développent leur propos en se focalisant d’abord sur les actes et paroles des habitants du village valaisan, leurs relations avec eux, puis opèrent un zoom arrière qui nous permet de saisir l’ampleur des mécanismes de ces racismes tellement - trop - protéiformes.

Teju Cole, à propos de James Baldwin: "(…) moi qui suis né aux États-Unis plus d’un demi- siècle après Baldwin, je persiste à comprendre, car j’ai éprouvé dans mon corps et dans ma chair la rage inextinguible que lui inspirait le racisme. Dans son écriture, on sent un appétit insatiable de vie, de la vie dans sa totalité, et le désir ardent de ne pas être compté pour rien (pour un simple nègre, un simple Neger), lui qui a conscience de valoir tant. (…)"

Une écriture brillante - aussi en français - nous rappelle que la fabrique de l’idéologie raciste se déroule en plusieurs couches et que certaines savent rester discrètes avant de se transformer en poison. Malheureusement encore d’actualité.

Ivor Malherbe/mh

"Leukerbad 1951/2014" de James Baldwin (orig. "Stranger in the Village"/ "Un étranger au village" 1955/1983) et Teju Cole (orig. "Black Body"/ "Corps Noir" 2016), éditions Zoé.

A voir sur Play Suisse le documentaire "I'm not your negro" basé sur les écrits inachevés de James Baldwin et réalisé par Raoul Peck

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