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"Maman, la nuit" de Sara Bourre, réinventer la langue maternelle

Sara Bourre. [Editions Noir sur Blanc - James Weston]
Entretien avec Sara Bourre, autrice de "Maman, la nuit" aux éditions Noir sur Blanc. / QWERTZ / 20 min. / le 24 avril 2023
Avec "Maman, la nuit", la Française Sara Bourre invente une langue d’enfant sauvage pour dire une relation mère-fille aussi étouffante qu’incomparable. Un premier roman climatique et envoûtant.

Le roman et son titre commencent par ce mot: Maman. Première parole de l’enfant qui se découvre une langue, un lien. Quoi de plus essentiel pour entrer en littérature? Avec "Maman, la nuit", Sara Bourre invente une langue, une voix d’enfant qui apprend, page après page, à dire le monde et ses tourments intimes.

Premier roman de l’autrice parisienne, "Maman, la nuit" est né d’un travail de master à l’université Paris 8, creuset de la relève littéraire française. Dans ce récit à la première personne, porté par une jeune fille dont on découvre, au fil de sa parole, combien son discours est l’expression d’une solitude et d’un manque, Sara Bourre convoque tout l’esprit musical et théâtral de son parcours artistique.

Une mère flamboyante

Poétesse, complice scénique de son frère pianiste de jazz, la jeune autrice a longtemps écrit pour les planches. Théâtre de son premier roman, la maison de la narratrice a les atours d’une scène, d’un microcosme de conte dans lequel la parcimonie des éléments amplifie la puissance des tensions dramatiques à l'œuvre. Une forêt, un lac, un village à l’horizon, voilà tout l’univers de cette jeune femme qu’élève seule une mère flamboyante et ombrageuse, sorte de gitane attirant les hommes à la tombée du jour.

Souvent je parle seule. Je parle mal. Je laisse les mots couler de ma bouche, un à un, se perdre dans l’espace trouble de ma solitude. Ma séparation. Il faut bien veiller à être séparé, toujours. Séparé de soi-même avant tout.

Sara Bourre, "Maman, la nuit"

Dans ce monde aux perspectives réduites, la narratrice grandit à la manière d’une enfant sauvage, sans autre culture que le monde naturel qui l’environne. Le langage, alors, les mots qu’elle ressasse, absorbe et régurgite, deviennent autant de fils invisibles reliant passé et présent, mère et fille, dehors et dedans.

La question de la transmission

Roman d’apprentissage sans voyage initiatique, "Maman, la nuit" ausculte à sa manière envoûtante l’éternelle question de l’héritage familial, de la reproduction sociale et de la difficile émancipation d’une adolescente aux repères nébuleux. Face à cette mère dont la disparition brutale ouvre le roman, la jeune fille se confie comme on parlerait dans le noir, pour se rassurer. Et les voix du dehors, symbolisées par un chœur de villageoises cancanant en italiques, n’ont pour effet que de la renvoyer à ses propres constructions mentales. D’où ce trouble, à la lecture du roman: et si cette mère qu’elle décrit, si proche d’elle, n’existait au fond que dans son imaginaire torturé?

Cette histoire parle aussi de l’absence. De comment on vit seul et on fait avec des traces. Quand on n’est plus en présence de quelqu'un, comment les traces nous façonnent et comment on en fait autre chose, aussi.

Sara Bourre

Roman de clair-obscur, sous-tendu par une violence aux accès éruptifs, "Maman, la nuit" fascine par la délicatesse qui émane de cette écriture faussement simple, puissante ode à l’amour filial et à l’invention de soi.

Nicolas Julliard/mh

Sara Bourre, "Maman, la nuit", ed. Noir sur Blanc

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