Dans "Mes deux papas", Eric Mukendi met en mots la multiplicité des mondes
"Mes deux papas" nous plonge dans la vie de Boris, 14 ans, un adolescent originaire du Congo, arrivé en France sept ans plus tôt. Elevé par son oncle Fulgence, dans la banlieue populaire de Bondy près de Paris, son quotidien est bousculé quand son père biologique revient dans sa vie.
Un titre à double sens
Contrairement à ce que le lecteur pourrait penser, "Mes deux papas" n'est pas une histoire d'homoparentalité. Une confusion assumée qui amuse Eric Mukendi: "Au départ, mon éditeur (Gallimard) avait un doute sur le titre. Moi j’aimais bien ce double sens car cela interpelle. En plus quand on découvre l’histoire, Boris a vraiment deux papas, donc ça tient tout à fait."
Tout comme son protagoniste principal, Eric Mukendi vient du Congo et il est aussi arrivé en France à l'âge de sept ans. Mais les ressemblances s'arrêtent là, déclare l'écrivain qui a pour sa part grandi en Normandie, entouré de ses deux parents congolais. Pour nourrir son roman, l'auteur s'est inspiré de sa propre adolescence et de ses élèves, car il a lui-même enseigné pendant dix ans à Bondy.
"Débrouille-toi pour vivre"
Et il n'est pas tendre avec son personnage principal. Sa mère meurt en couche, son petit frère décède rapidement et son père le confie à son oncle, dans l'espoir d'une vie meilleure. Malgré ces événements tragiques, le roman d'Eric Mukendi ne tombe jamais dans le pathos. Il s'en dégage même une certaine philosophie de vie, que l'auteur attribue à la mentalité congolaise.
L’idée, ce n’est pas de dire que les gens qui n’ont rien sont heureux. C’est plutôt de montrer qu'il faut avancer malgré les difficultés. Parce que de toute façon personne ne va s'apitoyer sur ton sort.
Eric Mukendi cite d'ailleurs le célèbre article 15, un article imaginaire de la Constitution du Congo qui dit "Débrouille-toi pour vivre". Tous les Congolais le connaissent et s'y réfèrent au quotidien.
Mixité sociale et culturelle
La collusion des mondes n'est pas toujours facile dans "Mes deux papas". Même si l'oncle de Boris, tonton Fulgence, est plus progressiste que son père biologique, la cohabitation avec sa femme Béatrice, Française de souche est parfois source de crispations. Que ce soit sur les heures de rendez-vous, les scènes de sexe explicites à la télévision ou le rôle des femmes. Des disputes formatrices pour Boris, qui les observe avec beaucoup d'acuité du haut de ses quatorze ans.
S'énerver et crier en disant que mon peuple a mieux compris les choses de la vie que le tien c'est comme être face à face et se disputer à propos d'où se trouvent la droite et la gauche.
Une sagesse sur la vie que l'on retrouve aussi dans l'histoire d'amour entre Boris et Hortense, une jeune bourgeoise des beaux quartiers. Boris a tout à fait conscience qu'il ne "boxe" pas dans la même catégorie qu'elle.
Parler noir et parler blanc
En parallèle de son activité d'écrivain, Eric Mukendi est également professeur de français, une explication peut-être de son amour des langues. Dans son roman "Mes deux papas", Boris mélange allégrement français, argot, arabe, et mots du bled. Pour ce protagoniste, la langue du quartier est un "plat français où chacun rajoute ses épices et sa sauce".
Autre exemple symbolique: celui du sens des mots qui peut avoir une signification très différente selon la culture. Dans son livre, Eric Mukendi prend le mot vraiment: "Au Congo et en Afrique, quand quelqu'un raconte une histoire qui lui tient à cœur, quelque chose de difficile ou douloureux, le mot 'vraiment' permet de soutenir la personne, tout en l'invitant à continuer. Côté français, le mot 'vraiment' a une connotation où l'on n'y croit pas trop."
"Mes deux papas" est un roman qui mélange les mots, les cultures et les classes sociales, où le happy end n'est pas forcément au rendez-vous. L'essentiel est ailleurs: trouver sa place dans ce monde et tenter de rendre les choses meilleures.
Sarah Clément/ld
"Mes deux papas", Eric Mukendi, ed. Gallimard, collection Continents Noirs.
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